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Quand Gaspard Ulliel évoquait son rôle d'Yves Saint Laurent

Gaspard Ulliel avait incarné Yves Saint Laurent en 2014 dans le film de Bertrand Bonello «Saint Laurent» Gaspard Ulliel avait incarné Yves Saint Laurent en 2014 dans le film de Bertrand Bonello «Saint Laurent» [© carole Bethuel - mandarin - Europacorp]

Gaspard Ulliel est décédé ce mercredi, des suites de ses blessures après un accident de ski. Acteur à la sensibilité rare, il avait connu la consécration en 2014 en interprétant le rôle-titre dans le biopic «Saint Laurent», de Bertrand Bonello, dans la peau du grand couturier. Un personnage exigeant que l’acteur nous avait à l'époque confié avoir failli interpréter par le passé.

Incarner Saint Laurent avait une signification particulière pour vous?

Il y a quelques années, Gus Van Sant, avec lequel j’avais travaillé sur le film «Paris, je t’aime», avait pour projet d’adapter le livre «Beautiful People», d’Alicia Drake. Il avait été frappé par ma ressemblance avec une photo d’Yves Saint Laurent jeune qu’il avait vue dans un restaurant et m’avait proposé le rôle. Malheureusement, son projet a été avorté et j’en avais gardé une certaine frustration. Alors quand Bertrand Bonello a voulu me rencontrer, ça a créé une excitation supplémentaire.

Bertrand Bonnelo a-t-il pensé à d’autres comédiens que vous pour incarner Yves Saint Laurent ?

Pour ma part, j’ai rencontré Bertrand à quatre ou cinq reprises. Il m’a clairement dit qu’il allait passer par le processus des essais, qu’on allait se revoir pour faire des séances de travail.

Gus Van Sant avait été frappé de ma ressemblance avec Saint Laurent.

On a d’abord travaillé sur des extraits d’interviews de l’INA qu’on a essayé de reproduire. Ensuite sur des morceaux de scènes qu’il avait tirés du scénario. A ce stade-là, je n’avais pas encore lu le scénario.

Qu’en avez-vous pensé après l’avoir lu ?

J’ai tout de suite vu que j’avais affaire à un projet un peu particulier, qu’il y avait une chose qui allait au-delà du simple biopic. Il y avait une richesse de thèmes qui me parlait par rapport à l’artiste, par rapport à la célébrité…

Vous avez grandi dans le milieu de la mode. Cette expérience vous a-t-elle aidé ?  

C’est plus une coïncidence. Ce que m’a transmis le fait que mes deux parents travaillent dans la mode, c’est avant tout une certaine sensibilité à la mode, au monde des arts. J’ai l’impression que le monde de la mode aujourd’hui n’est plus vraiment le même que celui de l’époque. C’est une industrie qui a énormément évolué. Le film s’inscrit dans une époque singulière, l’après 1968. Ce qui m’a vraiment aidé, c’est le travail de recherche que j’ai fait sur Saint Laurent, son œuvre et surtout l’époque.

Justement, quelles recherches avez-vous faites ?

J’ai retrouvé des archives télévisuelles à partir desquelles j’ai pu observer Saint Laurent à cet âge-là. Sinon, ça a été principalement des lectures : des biographies, le livre d’Alicia Drake. Ce livre a été un matériau très important dans ma recherche parce qu’il retranscrit fidèlement ce qu’était la vie dans ce micromilieu à l’époque. Au début, j’ai eu envie de tout savoir. Mais au bout d’un certain temps, je me suis aperçu que cela devenait un frein à mon travail. Je me sentais enseveli sous tout cet amas de vérité.

Et Bonello m’avait dit que son envie pour le personnage était d’y retrouver autant de moi que de Saint Laurent. Il fallait que je retrouve un espace totalement libre et vierge au-delà duquel je pouvais recréer, fantasmer des choses. Imaginer un personnage qui devrait être le mien et celui de Bertrand. Ca me permettait de faire circuler de l’émotion. Si j’étais rentré dans le mimétisme, je crois que cela aurait bloqué la sincérité.

La performance d’acteur tient donc moins au mimétisme qu’à l’appropriation ?

Tout à fait. On le résumerait comme ça. Un travail d’appropriation et même parfois de quasi évocation. L’idée était de le faire vrai en me mettant à sa place, en l’explorant à travers mon propre vécu, mes propres émotions.

Une transformation physique a quand même été nécessaire : perte de poids, changement de voix…

On sait qu’un rôle comme celui-ci comporte des contraintes physiques. Le public a davantage d’attentes que pour un rôle de fiction. Il fallait trouver quelque chose pour que le public accepte d’emblée ce physique et cette voix. Le travail sur la voix est apparu très tôt dans les discussions avec Bertrand. On s’est dit que c’était un élément très marquant dans la mémoire collective. J’ai fait tout un travail d’analyse par rapport aux enregistrements d’archives. Je l’ai écouté en boucle pour la laisser infuser. Qu’elle imprègne petit-à-petit mon oreille et qu’elle ressorte sur le plateau comme quelque chose de spontané, naturel, quasi organique… qui me permette de la tenir tout au long du tournage.

A quel moment du projet, vous êtes-vous dit : "ça y est, je tiens mon personnage" ?

Honnêtement, peu de fois. J’ai douté jusqu’au bout et je doute encore un peu aujourd’hui malgré tous les retours bienveillants qu’on a. Mais, c’est l’inverse qui serait inquiétant. Parfois, il y a quand même des moments où l’on a une conscience différente du personnage. On a le sentiment qu’on a besoin de moins d’efforts pour arriver au même but. Mais c’est justement là qu’il faut rester vigilant.

Sur ce rôle, j'ai douté jusqu'au bout.

D’ailleurs je voulais vraiment dire ma reconnaissance à Jérémie Renier, qui est un ami proche depuis longtemps et qui sur cette expérience m’a aidé à ne pas relâcher une certaine rigueur, concentration. Il venait de faire «Cloclo», le biopic sur Claude François. Et il m’a proposé son aide. Pour ce rôle, j’étais dans un travail beaucoup plus exigeant que pour d’autres personnages que j’ai pu interpréter dans le passé. Il y avait cette peur de perdre une partie du personnage en quittant le plateau le soir. C’était une nouveauté par rapport à mes tournages précédents

Comment ressort-on d’une telle expérience ?  

On me pose souvent cette question, ce que je comprends très bien. Mais je ne serai jamais dans la position de l’acteur ou de l’actrice qui dialogue avec les fantômes de son personnage. J’arrive très bien à faire la part des choses entre ma vie personnelle et ma vie professionnelle.

Mais c’est vrai que pendant le tournage, c’est comme si j’avais mis en suspens ma vie personnelle. Au contraire, après le tournage, j’avais une vraie envie de souffler. De me reposer, de retrouver ma vie à moi. Bien que ce soit un rôle intense, qui peut laisser quelques stigmates, le personnage est parti assez facilement.

A quel moment avez-vous appris qu’un deuxième film sur la vie d’Yves Saint Laurent se tournait ?

Dès le départ. Artistiquement, ça n’a rien changé pour moi. Mais c’est vrai que j’aurais pu avoir la curiosité de savoir ce qu’allait faire Pierre Niney, qui est un acteur que j’identifiais clairement comme extrêmement talentueux. Ca rajoutait une certaine pression. J’aurais pu mais je n’ai pas essayé. Je me suis dit que c’était stérile et j’ai préféré me concentrer sur le film de Bertrand. De toute façon, leur tournage a eu lieu avant le nôtre.

En fait, c’était l’affaire des producteurs. Il y a vraiment eu un moment où la faisabilité du film a été menacée. Dans une industrie aussi fragilisée qu’elle peut l’être aujourd’hui, avoir deux films sur le même sujet est un élément compliqué à négocier. Comme si l’argent avait été partagé entre les deux projets.

Le film a été présenté au Festival de Cannes…

Cannes est un indicateur très fort de la manière dont la presse va recevoir un film. J’ai un souvenir très fort de la projection. Quand les lumières se rallument et qu’on a la reconnaissance de la profession, c’est un moment assez symbolique et très émouvant.

C’est pour un autre biopic, «Mr. Turner», que l’acteur Timothy Spall a reçu le prix d’interprétation masculine. Avez-vous espéré le remporter ?

Sûrement pas en arrivant là-bas. J’étais déjà extrêmement heureux qu’on soit sélectionné. J’imaginais que le film avait davantage ses chances pour les prix du scénario ou de la mise en scène.

Ce personnage est extrêmement riche, complexe, intense.

C’est vrai que beaucoup de gens sont venus me voir en me mentionnant ce prix d’interprétation… Mais il n’y a pas eu de déception, parce qu’il n’y avait pas vraiment d’attente.

Quels sont vos projets maintenant ?

J’ai refusé beaucoup de choses. J’ai eu énormément de mal à considérer de façon juste et objective les projets que j’ai pu recevoir pendant le tournage ou après le film de Bertrand. J’étais encore trop dans l’expérience de «Saint Laurent» et tout me paraissait extrêmement fade. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que j’arrive à prendre plus de recul et à tourner la page. Ce personnage est extrêmement riche, complexe, intense…

Aujourd’hui j’aimerais pouvoir continuer avec un projet avec des enjeux aussi forts. Mais je suis bien conscient que c’est le genre de personnage qu’on ne rencontre qu’à quelques reprises dans une carrière d’acteur. Alors mine de rien, ça ne facilite pas le choix qui va suivre. Pour l’instant, je considère pas mal de projets mais je n’ai pas encore arrêté quoi que ce soit.

Cette expérience a modifié ma façon d’aller vers un projet. Dans le passé, j’ai peut-être donné la priorité à une envie de cinéaste ou de scénario. Aujourd’hui, j’attache une importance différente au personnage.

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