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Michel Houellebecq : On a lu «anéantir», son nouveau roman

Son huitième livre plonge le lecteur en 2027. [©Lionel BONAVENTURE / AFP]

Trois ans après «Sérotonine», l’écrivain Michel Houellebecq est de retour avec «anéantir» (éd. Flammarion), un ouvrage aux allures de thriller politique, à paraître ce vendredi 7 janvier.

Ambitieux, réaliste, et tendre, il dépeint les maux de notre société et aborde une large palette de sujets, comme le terrorisme informatique, la politique, la fin de vie, la foi, ou encore l’amour. Plus précisément, son huitième livre, imprimé en 300.000 exemplaires, plonge le lecteur en 2027, en pleine campagne présidentielle.

un arrière-plan politique

Jamais nommé mais identifiable, Emmanuel Macron, qui avait «délaissé les fantasmes de start-up nation qui avaient fait sa première élection, mais n’avaient objectivement conduit qu’à produire quelques emplois précaires et sous-payés», est sur le point d’achever un deuxième quinquennat. La gauche est à la peine dans les sondages, tandis que le nouveau candidat du Rassemblement National – un jeune homme remplaçant Marine Le Pen – dépasse les 20%.

Ce dernier se retrouve au coude-à coude avec le candidat de la majorité présidentielle. Le président sortant ne pouvant briguer un troisième mandat, c’est finalement un populaire animateur de télévision, ayant fait de l’ombre à l'animateur Cyril Hanouna, qui se lance dans la course. Côté personnalités, on croise aussi Laurent Joffrin, Philippe Lançon, ou encore Michel Drucker.

Même si le chef de l’Etat aurait préféré que ce soit son ministre de l’Economie et des Finances, nommé Bruno Juge, personnage inspiré de Bruno Le Maire, ami de l’auteur, qui occupe les mêmes fonctions. Grâce à lui, «probablement le plus grand ministre de l’Économie depuis Colbert», le pays est redevenu «la cinquième puissance économique mondiale, talonnant l’Allemagne pour la quatrième position», écrit Michel Houellebecq, qui embarque le lecteur dans les coulisses du pouvoir et de la communication politique.

Un héros type  

Si cet homme d’Etat est un personnage clé de son roman, ce n’est pas le principal. Tout au long de ces 736 pages, on suit surtout la trajectoire de son conseiller, Paul Raison, un énarque désabusé, solitaire, rêveur, fils d’un fonctionnaire de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), et héros typiquement houellebecquien. C’est en effet au destin de ce presque quinquagénaire, qui enquête notamment sur des vidéos relayées par un groupe obscur, dont l’une simule la décapitation de Bruno Juge, que l’écrivain de 65 ans s’intéresse.

Paul est marié à Prudence, nom choisi par son père en référence à la chanson «Dear Prudence» des Beatles, une femme passionnée par l'ésotérisme et devenue vegan. Cela fait des années que leur couple bat de l’aile. Ils font chambre à part et n’ont pas d’enfants car «si Prudence et lui avaient eu des enfants, il n’en seraient pas là, en réalité sans doute que si, au contraire même, il se seraient probablement déjà séparés, les enfants aujourd’hui ne suffisent plus à sauver un couple, ils contribuent plutôt à le détruire», peut-on lire.

Une histoire de famille

Alors qu’il est en proie à la misère affective et sexuelle, Paul, double de l’écrivain, apprend que son père a été victime d'un accident vasculaire cérébral (AVC). Il reste à son chevet à l'hôpital, puis dans la maison familiale du Beaujolais et renoue des liens avec les membres de sa famille, donnant lieu à des réflexions sur la maladie, et le trépas. Comment mieux appréhender la mort et accompagner celle de nos proches ? Mais aussi sur les patients oubliés dans les Ehpad, ces «ignobles mouroirs».

Sans pour autant dire son nom, le Goncourt 2010 pour «La carte et le territoire» plaide une fois de plus contre l’euthanasie et dénonce les établissements spécialisés, où les personnes en fin de vie sont «parqués (…) hors de la vue des autres humains». Au fil du récit, illustré de quelques dessins en noir et blanc, dont certains de la main du romancier, on fait notamment la connaissance de sa sœur, Cécile, une fervente catholique, mariée à un notaire désormais au chômage.

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©DR

Un magnifique récit d’amour...

Il y a aussi son jeune frère Aurélien, un artiste qui partage sa vie avec une femme déséquilibrée et qui choisira un destin tragique, ou encore la seconde épouse de son père, la très attentionnée Madeleine. Des personnages familiers, attachants, autour desquels la star des lettres françaises montre la complexité des relations conjugales, mais surtout l’importance de l’amour, en dressant des portraits de femmes à la fois bienveillants et admiratifs.

C’est même la première fois que Michel Houellebecq décrit avec autant de profondeur ce sentiment. «Tu t’imaginais peut-être que ta vie t’appartient mais c’est faux, ta vie appartient à ceux que tu aimes», déclare notamment Cécile. On retrouve quand même de nombreux ingrédients chers à l’auteur, comme la crudité des scènes de sexe et son humour grinçant. Il s’en prend une nouvelle fois aux bobos, et n’épargne pas non plus les journalistes.

...et très documenté

Rythmé par des chapitres courts et une écriture fluide, honnête, sans fioritures, «anéantir», précieux ouvrage à la couverture rigide et doté d’une tranchefile et d’un signet rouge, est un magnifique récit, plus apaisé, et très documenté, particulièrement dans le domaine médical. D'ailleurs, à la fin de son livre, dans les remerciements, Michel Houellebecq incite ses confrères à suivre son exemple.

«Au fond, les écrivains français ne devraient pas hésiter à se documenter davantage ; beaucoup de gens aiment leur métier, et se réjouissent de l'expliquer aux profanes», écrit-il. Toujours avec son brillant sens de la formule et fidèle à lui-même, l’écrivain visionnaire, qui n’évoque pas la crise sanitaire, nous h­­appe, nous touche, et nous déroute.

Viendra le jour où l’on cessera d’être, où l'on sera anéanti, mais en attendant, pourvu que l’on puisse jouir d’une vie à deux, au côté d’un être aimant et salvateur, trouver refuge auprès de sa famille, ou encore de la lecture, et «accomplir les gestes essentiels, ceux qui permettent à l’espèce humaine de se reproduire, ceux qui permettent aussi, parfois, d’être heureux».

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