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La semaine de Philippe Labro : Jean-Paul au grand cœur, le grand art de Belmondo

[©NANA PRODUCTIONS/SIPA]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

MERCREDI 8 SEPTEMBRE

Jean-Paul ne nous aurait pas quittés, j’aurais, bien évidemment, consacré cette chronique au procès des attentats du 13 novembre 2015 – l’horreur du Bataclan – et au 20e anniversaire, ce samedi, du 11-Septembre aux Etats-Unis. Mais il y a eu cette disparition, l’émotion qu’elle a suscitée, et l’hommage qui lui sera rendu demain aux Invalides. J’ai tendance à n’utiliser que son prénom, car j’ai eu la chance de tourner deux films avec lui et de vivre un beau rapport d’amitié avec un tel homme, avec cet amoureux de la vie, de la camaraderie, de la famille, du jeu, des risques et des périls, avec ce type capable d’incarner un prêtre en noir et blanc ou un Guignolo en couleurs. Aucun autre des grands du cinéma n’a accompli cette prouesse d’évoluer dans un registre aussi large. Il m’a été donné de répondre aux questions de multiples radios, télévisions et journaux. De cette multiplicité d’entretiens, je retiens quatre questions qui revenaient à chaque fois. Quatre «comment».

1. Comment l’avez-vous connu ? Je l’ai découvert, un soir, alors qu’il arpentait la rue Saint-Benoît, dans le quartier Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Il était à la tête d’une jeune troupe d’inconnus. Il avait l’allure chaloupée d’un marin ou d’un boxeur qui va vers le ring. C’était Bonaparte au pont d’Arcole ! Plus tard, j’ai été ébloui par son naturel dans A bout de souffle de Godard. Je l’ai donc souvent interviewé, nous avons dialogué, et une confiance réciproque s’est établie. Il en a résulté que j’ai pu, au début des années 1970, lui proposer L’héritier, qu’il a accepté d’interpréter. Un autre film a suivi : L’Alpagueur.

2. Comment dirige-t-on Belmondo ? On ne le «dirige» pas. On parle, on explique, on accompagne. Le mot «direction» est réducteur. La relation entre un metteur en scène et une star doit être celle d’un accord scellé lors de la lecture du scénario, une sorte de pacte, un respect mutuel et une liberté. Jean-Paul doit être libre d’inventer. Il connaît son corps, sa fluidité, sa souplesse, son apparente désinvolture. Quand il arrivait sur le plateau, il pouvait créer l’illusion de la facilité. En réalité, il avait tout travaillé, tout intégré, tout compris. Son expérience du théâtre, sa mémoire, son intelligence, sa discipline, son énergie, la méticuleuse préparation qu’il apportait à la moindre cascade, expliquent pourquoi il était crédible dans le moindre de ses gestes, avec l’appui d’une voix unique, une sorte de douceur («Parler bas pour mieux se faire entendre», disait Jean Gabin, qui fut son maître, sa référence).

3. Comment était-il dans la vie, hors tournage ? Il possédait une sorte de sourire intérieur, celui d’un homme qui, très tôt, avait appris que la vie est courte, que la précarité existe et que les échecs ou les drames peuvent surgir. Alors, il abordait les copains ou les inconnus avec bienveillance et un don de sympathie inouï. Il aimait rire et faire rire. Je me souviens de ses imitations de Jules Berry (qui fut un de ses vrais modèles), Michel Simon, Pierre Brasseur. Il blaguait, bavardait, et savait aussi écouter. Et puis, il y a ce courage avec lequel il sut remonter sur scène, reprendre le théâtre, et, surtout, combattre le terrible AVC dont il fut victime en 2001, son incroyable ténacité pour retrouver l’usage de sa voix et de son corps.

4. Comment expliquez-vous l’amour que lui porte le public ? Eh bien, c’est simple : toutes les qualités que j’ai tenté d’énumérer, le public les reconnaissait, les approuvait. L’homme de la rue savait bien qu’il ne truquait pas et se retrouvait proche de son rire et de sa générosité. Ses aventures à l’écran, ses personnages, ses exploits ont captivé des générations à qui il a offert un spectacle exceptionnel. On sent, chez les gens, l’envie de lui dire «merci». C’est aussi le sentiment qui m’anime : merci, Jean-Paul.

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