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Douglas Kennedy : «La normalité n'existe pas»

Douglas Kennedy, accompagné de Joann Sfar aux illustrations, publie «Aurore et le mystère de la chambre secrète» (Pocket jeunesse). Douglas Kennedy, accompagné de Joann Sfar aux illustrations, publie «Aurore et le mystère de la chambre secrète» (Pocket jeunesse). [Martin BUREAU / AFP]

Douglas Kennedy publie «Aurore et le mystère de la chambre secrète», deuxième tome des «Fabuleuses aventures d'Aurore» aux éditions Pocket jeunesse, avec Joann Sfar au dessin. L'occasion d'échanger avec l'écrivain américain sur l'enfance, les différences et l'écriture.

L'histoire : Aurore a onze ans, est autiste. Elle ne peut parler mais communique avec aisance via sa tablette. Anaïs, une élève de son école, ne comprend pas sa différence et a décidé de lui en faire baver. Mais Aurore possède un secret : elle sait lire dans les pensées des autres. Parallèlement, un inspecteur de police, avec qui Aurore est devenue amie dans le premier volume, va faire appel à elle pour enquêter sur une étrange disparition. Anaïs pourrait bien y être mêlée...

Pourquoi on a aimé : Cette nouvelle enquête d'Aurore est emplie de suspense et de rebondissements. Menée tambour battant, tout en s'inscrivant dans le quotidien d'une fille de 11 ans bien dans son époque, elle plaira aux enfants à partir de 8 ans. Douglas Kennedy signe un livre touchant qui aborde la différence avec grande sincérité et justesse. 

Comment votre désir d’écrire pour la jeunesse est-il né ?

Simplement. J’ai deux enfants dont un fils qui est autiste. Quand sa mère et moi l’avons appris alors que Max était encore tout petit, on ne nous a pas donné beaucoup d’espoir. Aujourd’hui, il a 27 ans et est complètement autonome. A l’époque, tout le monde me demandait si j’allais écrire un roman autour de l’autisme. Mais je ne savais pas sous quel angle aborder la question. A partir de là, j’ai de plus en plus repensé à mon enfance. C’est en fait le réel point de départ de cette histoire.

«Je dis souvent aux jeunes écrivains de faire appel à leur empathie»
Douglas Kennedy

Cette enfance vous a-t-elle encouragé à écrire cette histoire ?

Mes parents faisaient partie de la classe moyenne. Lorsque nous avons déménagé à New York, nous nous sommes retrouvés dans un petit appartement. L’occasion pour moi d’observer le couple de mes parents. Aujourd’hui, je sais à quel point les enfants peuvent tout percevoir. Si on écrit quelque chose, ce n’est pas forcément qu’on l’a vécu, je suis contre l’autofiction car la plupart du temps cela ressemble à une revanche. J’utilise mon imagination malgré l’aspect autobiographique inhérent à tout roman. Il m’a fallu me glisser dans la peau d’Aurore, 11 ans. Je l’ai imaginée autiste, non verbale, qui communique par le biais d’une tablette mais se montre très accomplie. Elle pense qu’elle n’a pas de problèmes, contrairement à tout le monde. Elle a un secret : le pouvoir de lire dans les pensées des gens. On doit «entendre» sa voix même si elle ne parle pas à cause de son autisme.

Avez-vous souhaité écrire sur l’enfance ou sur la différence ?

J’ai écrit une moitié de mon œuvre dans la peau d’une femme. Pourquoi pas une petite fille, perspicace et sans honte ? J’aime son point de vue sur la vie. Au-delà du sujet de l’autisme, c’était important pour moi de donner une perspective très humaniste à cette histoire, autant qu’écrire un roman jeunesse avec suspense et action qui plaît aux enfants. Il y a 22 ans, on m’a donné très peu d’espoir pour mon fils autiste. J’ai créé une école basée sur le système «ABA» qui implique de lourds horaires. Mais le résultat, c’est Max, un jeune homme qui voyage et fourmille de projets. De mon point de vue, Max n’est pas handicapé.

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© Joann Sfar / Pocket Jeunesse

Qu’est-ce qu’on appelle «la vie normale» ? Je ne pense pas que la «normalité» existe. Je voulais faire passer le message qu’être différent peut s’avérer une bonne chose. J’ai toujours été un peu en marge à l’école, mes enfants aussi. Quand on est exclu d’un groupe, cela permet de trouver d’autres ressorts. Je dis souvent aux jeunes écrivains de ne pas juger, de faire appel à leur empathie. Tout le monde possède une part de pathologie dans sa manière de penser.

Aurore grandit dans une famille un peu disloquée…

J’ai décidé de créer une histoire française mais très universelle. Je vis ici depuis 20 ans. Aurore, ainsi que sa grande sœur et sa mère, habitent à Fontenay-sous-Bois. Cette dernière est une femme divorcée partie du 15e arrondissement car les loyers y sont trop chers. Ce n’est pas une histoire atypique. J’ai grandi dans la classe moyenne aussi et je me souviens de la question de l’argent.

Aurore comprend très bien que sa mère a quitté son père, que son nouveau compagnon possède un lourd secret, que la vie de son père est déréglée par une union avec une femme qui désire un enfant, et aussi que la peste qui la harcèle à l’école a en fait de très gros problèmes à la maison. Moi aussi, sans être «différent», j’ai été harcelé à l’école.

Au final, Aurore, la petite fille autiste, est-elle plus inspirée de votre fils, Max, ou de vous-même ?

De moi ! Aurore devient ici détective grâce à son pouvoir de lire dans les pensées des autres mais aussi grâce à sa curiosité. Sa passion est la vie des autres. Ça tombe bien, c’est aussi mon métier.

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© Joann Sfar / Pocket Jeunesse

Le père d’Aurore est d’ailleurs écrivain. «Quand on écrit, comme pour tout autre art, on est complètement seul», dit-il à sa fille.

C’est en effet un aspect de mon métier. Il y a quelques années, j’ai été invité à la Sorbonne pour faire un discours. Un étudiant m’a demandé comment on devenait Douglas Kennedy. Ma question en retour fut : «Aimez-vous la solitude ?» Je ne parlais pas de solitude physique mais existentielle. Tous les écrivains ont d’ailleurs un aspect autiste. J’ai mes obsessions, je me sens à mon aise quand je suis seul et je vis la moitié du temps dans ma tête.

Pour cette série de romans jeunesse, vous ne travaillez plus seul. Est-ce un défi pour vous ?

Mon avocat - qui est aussi mon agent et un grand ami - m’a proposé un jour un rendez-vous avec Joann Sfar dont nous sommes tous les deux fans. Je suis arrivé avec l’idée du personnage d’Aurore, on a immédiatement eu un bon rapport et un respect mutuel. Je lui ai présenté mon idée de jeune fille française, âgée de 11 ans. Je n’avais aucune idée visuellement d’Aurore. Quand Joann m’a envoyé une proposition de personnage, j’ai tout de suite pensé que c’était bien elle. Joann Sfar est un génie du dessin. En outre, il est très agréable et facile de travailler avec lui.

Comptez-vous faire grandir Aurore pour les prochains volumes de ses aventures ?

Peut-être dans 8 ou 10 tomes, mais pas avant ! En fait, je trouve qu’onze ans est un âge très intéressant puisqu’encore un peu épargné par les problèmes d’adolescence, de genres, et de sexualité.

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© Joann Sfar / Pocket Jeunesse

Aurore et le mystère de la chambre secrète, Douglas Kennedy, Joann Sfar, Pocket jeunesse, 17,90€.

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