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On a lu «Encre sympathique», le nouveau roman de Patrick Modiano

Patrick Modiano publie «Encre sympathique» aux éditions Gallimard Patrick Modiano publie «Encre sympathique» aux éditions Gallimard[Crédit Thomas SAMSON / AFP]

Avec «Encre sympathique» aux éditions Gallimard, Patrick Modiano poursuit son oeuvre littéraire et son infinie quête de la mémoire.

Le Prix Nobel de littérature 2014 publie ce jeudi 3 octobre 2019 son vingt-neuvième roman et avec lui une nouvelle déambulation dans les rues d'un Paris disparu. Magie de cette «encre sympathique» : le lecteur plonge une fois de plus dans les pages de Patrick Modiano comme on se prend à rêver les yeux ouverts dans un moment suspendu.

29 livres et une seule oeuvre

Il est question ici d'un dossier bleu ou plutôt «d'une simple fiche dans une chemise à la couleur bleu ciel qui a pâli avec le temps». Le narrateur - un certain Jean Eyben - se souvient. Trente ans plus tôt, alors qu'il débutait sa vie professionnelle, il travaillait dans une agence de détective dirigée par un certain monsieur Hutte (clin d'oeil à son roman «Rue des boutiques obscures» qui avait vu naître ce personnage). A l'époque, ce patron énigmatique lui avait demandé d'enquêter sur la disparition d'une jeune femme - une certaine Noëlle Lefebvre - . Très peu d'informations sur cette vendeuse de sacs chez Lancel dans le quartier de l'Opéra Garnier si ce n'est une carte des PTT permettant de retirer son courrier au guichet de la poste restante. Le narrateur part alors sur les traces de la mystérieuse disparue. De la rue de la Convention à la rue Vaugelas (qui apparaît déjà dans «L'Horizon») en passant par le boulevard Brune, Jean Eyben s'enfonce dans cette quête et glane quelques informations éparses et des noms étranges tels que Gérard Mourade ou George Brainos (encore dans «L'Horizon»).

Il finit finalement par se retrouver à Annecy, ville déjà au coeur de son roman «Villa Triste», quelques années auparavant, puis enfin à Rome, la capitale dans laquelle «rien ne change jamais», mais aussi le lieu du dénouement de cette histoire. Un dénouement évidemment très «modianesque» ouvert à toutes les interprétations.

Certains, même parmi ses plus grands fans, diront que le Prix Nobel de littérature ne cesse d'écrire toujours le même livre. Mais qu'importe. Comme d'accoutumée, l'écrivain part ici à la recherche de la mémoire au gré des rues de la capitale, des loges de gardienne et des cafés de quartier. N'est-ce pas cela le génie de cet auteur aussi difficile à écouter - il est réputé pour ne jamais finir ses phrases en interviews - qu'il est facile de se fondre dans sa prose poétique et délicate ?

Une écriture exigeante et grand public

Comme à chacune de ses livraisons chez Gallimard, Patrick Modiano tient la gageure d'une écriture exigeante destinée pourtant au public le plus large. Car au final, ses réflexions élégantes autour de la mémoire, de l'intuition, de l'identité et du temps, ne peuvent que parler à tout le monde.

«Il y a des blancs dans une vie, mais parfois ce qu'on appelle un refrain. Pendant des périodes plus ou moins longues, vous ne l'entendez pas et l'on croirait que vous avez oublié ce refrain. Et puis, un jour, il revient à l'improviste quand vous êtes seul et que rien autour de vous ne peut vous distraire. Il revient, comme les paroles d'une chanson enfantine qui exerce encore son magnétisme», écrit si justement l'auteur de «La Place de l'Etoile».

Changement de points de vue et quête d'identité

Comme toujours, Patrick Modiano aime à laisser ses fans dans le flou. Jusqu'à un certain point cette fois. En passant du «je» au «elle», la narration propulse le lecteur d'un coup hors de cette quête au milieu des souvenirs éparses. Les masques vont-ils tomber ? Cette enquête autour de la disparition inquiétante d'une jeune femme entourée d'hommes parfois patibulaires, va-t-elle enfin être résolue ? Patrick Modiano s'amuse et laisse le lecteur à son intuition.

Et si les points de vue démultipliaient les histoires ? Une identité peut-elle en cacher une autre ? Le voyage permet-il d'effacer la mémoire et d'inventer sa vie ? «Rome était une ville qui avait le pouvoir d'effacer le temps, et aussi votre passé, comme la Légion étrangère», selon la narratrice. Patrick Modiano reste, lui, maître dans l'art de jouer avec ce temps. Einstein (et sa théorie de la relativité) aurait apprecié.

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Patrick Modiano, Encre sympathique, Gallimard, 137 p., 16€.

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