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On a lu «Les Indes Fourbes», la BD événement de la rentrée

L'album, autant que le nom des auteurs, laissaient espérer un grand cru. En publiant leur superbe volume grand format de 150 pages, Alain Ayroles et Juanjo Guarnido offrent un récit palpitant dans la tradition des romans d'aventure du XVIIe siècle.

Ils ont ainsi imaginé leur histoire comme un hommage au style littéraire picaresque, très en vogue en Espagne du XVIe au XVIIIe siècle, qui met souvent en scène un vagabond ou un personnage sans le sou dont la liberté est le seul trésor, et qui va se confronter à toutes les couches sociales lors de ses pérégrinations (extraits à lire ici ).

Poussant le plus loin possible cette analogie, ils ont construit leurs «Indes Fourbes» comme une suite au roman picaresque de Francisco de Quevedo, «El Buscon», paru en 1626 mais resté célèbre de l’autre côté des Pyrénées, à l’instar d’un Don Quichotte. De Quevedo avait imaginé un deuxième volume à son roman, jamais paru. Les deux auteurs lui ont rendu hommage en l'imaginant, cette fois non pas en Espagne, mais de l'autre côté de l'Atlantique, dans l'actuel Pérou.

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Dans la BD, le héros, Don Pablos de Segovie, va ainsi traverser l’Océan, et se retrouver embarqué dans d’improbabes péripéties. Ce Pablos est un filou, né tout en bas de l’échelle sociale, mais qui compte bien la gravir à force de mensonges, vols, trahisons, et meurtres s’il le faut.

Après tout, dans ces Indes-l'appelation du Nouveau Monde pendant le Siècle d'Or espagnol- ou le rêve de l’Eldorado est encore présent, la frontière entre l’aventurier et le vaurien est ténue. Malfrats, esclaves africains, chercheurs d'or, aristocrates, négociants ou prostituées, tous auront affaire à lui, et à sa supposée naïveté qui recèle bien des pêchés. L'expression «Rira bien qui rira le dernier» aurait pu être inventée pour lui...

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Et cette fois, pas d’animaux parlant à l'horizon, contrairement à ce que le pedigree des deux auteurs pourrait laisser penser. Du sublime «De Cape et de Crocs», le scénariste Alain Ayroles a tout de même gardé son talent pour l'écriture ciselée et le pastiche. Dans le récit comme pour les dialogues, il joue avec le lecteur sans jamais le perdre, et offre une aventure à tiroirs, aux multiples narrateurs, mêlant satire et burlesque. Jusqu'au final, renversant, qui donne envie de reprendre la lecture dès le départ avec en tête tous les artifices dont l'album est émaillé. Juanjo Guarnido a lui aussi abandonné ses inoubliables animaux anthropomorphes de «Blacksad», mais pas son infinie palette d'aquarelles.

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En tout, 150 pages sombres ou éclatantes, qui font l'effet d'une bouffée d'air pur au milieu des albums colorisés en numérique. Chaque planche fourmille de vie, de détails, et l'action semble être prise sur le vif : on pourrait presque humer les embruns de l'océan, les fonds de cale puants ou les parfums de la jungle. La vista de Guarnido semble ne connaitre aucune limite, et s'épanouit parfois sur plusieurs pages totalement muettes aux cadrages dynamiques.

Le réalisme est partout, renforçant l'expressivité et le burlesque des visages, façon commedia dell'arte. A voir les dernières planches, sublimes, on comprend mieux pourquoi le peintre Vermeer et Guarnido partagent la même nationalité. Au terme d'un travail titanesque de dix ans pour les deux auteurs, ce récit baroque (dans le style comme dans l'époque) multiplie les arguments dans ce superbe très grand format, et offre un incomparable plaisir de lecture, avec l'agréable sensation de tenir entre ses mains un futur classique du genre. De quoi espérer bientôt une nouvelle collaboration ? 

«Les Indes Fourbes», Ayroles et Guarnido, ed. Delcourt, 160 p., 34,90€.

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