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Japon : un festival mondial du thé, sous l'oeil du Mont Fuji

Cérémonies du thé chinoise (g) et japonaise (d) au musée du thé, dans la préfecture de Shizuoka, le 2 mai 2013 [Antoine Bouthier / AFP] Cérémonies du thé chinoise (g) et japonaise (d) au musée du thé, dans la préfecture de Shizuoka, le 2 mai 2013 [Antoine Bouthier / AFP]

On ne peut pas le rater. Comme tatoué sur le flanc de la montagne Agawatake s'étale un gigantesque "kanji" (caractère chinois) de 130 mètres de large: "cha", celui du thé, calligraphié avec des rangées de cyprès de dizaines de mètres de long.

Début mai, la préfecture de Shizuoka, au sud-ouest de Tokyo, a organisé un festival mondial du thé avec la participation de nombreux pays producteurs. Et ce n'est pas un hasard: cette région, qui abrite le mythique Mont Fuji, produit près de 40% du thé vert de tout le Japon.

"Ce Festival, qui a lieu tous les trois ans, est une combinaison de culture et d'industrie", explique à l'AFP le directeur de l'Office provincial du thé, Mitsuru Shirai.

"C'est le thé qui nous a créés", rappelle-t-il avec un brin d'emphase. Car, dans cette province on cultive le thé depuis la moitié du 13e siècle. Ici on pense thé, on vit thé. Aujourd'hui les précieuses petites feuilles torréfiées à la vapeur d'eau font vivre 15.000 agriculteurs et leurs familles. Au total ce sont 800 sociétés, 100.000 emplois et un chiffre d'affaire de près de 44 milliards de yen (environ 343 millions d'euros).

Il suffit de circuler dans la région pour s'en convaincre: vallées, flancs de côteaux, simples talus, partout des champs de thé à perte de vue et de toutes tailles. Cela va d'une simple rangée de théiers le long d'une maison, taillée nette en arrondi comme un cake sorti du moule, à des dizaines d'hectares de vagues vertes et ondulantes qui déboulent des collines ou tapissent les vallées comme un édredon.

Cette beauté serait totalement bucolique n'eût été la présence inattendue et peu esthétique de milliers de ventilateurs électriques à grosses pales tournés vers le sol. "En cas de gel, on les démarre pour épargner les pousses afin de maintenir l'air chaud au niveau du sol", explique le Dr Hidehiro Inagaki, un spécialiste du thé. Il y a trois ans, un mauvais coup de froid avait fait perdre 14.268 hectares, plus de 60% de toute la surface plantée en théiers, se souvient-il.

Le producteur de thé Toshiharu Suguira pose devant ses terres dans la préfecture de Shizuoka, le 11 avril 2013 [Jacques Lhuillery / AFP]
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Le producteur de thé Toshiharu Suguira pose devant ses terres dans la préfecture de Shizuoka, le 11 avril 2013
 

Quatre jours durant, ce Festival mondial de printemps (il y en aura un encore plus important à l'automne) a accueilli des milliers de visiteurs, notamment au Musée du thé, près de l'aéroport de la capitale régionale Shizuoka, pour des expositions, des cérémonies du thé, des dégustations dans des maisons de thés reconstituées, chinoises, turques, népalaises, ou des colloques sur le thé dans tous ses états.

Diplomatie du thé

Et des "états" il y en a de toutes sortes dans ce musée, de toutes couleurs et de toutes formes (mêmes en étonnantes boules agglomérées), dans des dizaines de boîtes vitrines carrées. L'origine de chaque thé est symbolisée par un petit drapeau et la bannière rouge étoilée de la Chine l'emporte haut la main.

Ce musée organisé circulairement autour d'un théier de plus de dix mètres de haut à l'intérieur même du bâtiment et criant de vérité - c'est un faux -, rassemble quantité d'objets en rapport avec le thé, sa culture, sa civilisation: barattes à thé, samovars, services en porcelaine si anglais. Les visiteurs ont pu déguster dans un salon turc avec tapis noués et samovar, ou népalais avec ses élégants panneaux de bois sculptés...

Même s'ils ne s'appesantissent pas sur le sujet, les organisateurs ont dû aussi soigneusement songer à ne froisser aucune sensibilité: la Chine, la Corée du Sud, qui ne s'entendent pas très bien avec le Japon, ainsi que Taïwan, une province "rebelle" pour Pékin, faisaient partie des pays invités.

Du coup les stands chinois et taïwanais ont été suffisamment distants pour éviter d'éventuels regards aussi noirs que certains thés.

Oublier Fukushima

Ce festival visait aussi à montrer l'excellence du thé de la province, dont on retrouve certains "grands crus" dans des boutiques de luxe à l'étranger, comme "Mariage Frères" à Paris.

Le correspondant de l'AFP en a goûté un de "compétition" à 300.000 yen le kilo (environ 3.000 dollars). Pour ce thé d'exception, il faut 50 personnes par jour pour récolter à la main 4 kilos de pousses. On comprend le prix.

Et puis, peut-être aussi fallait-il faire... oublier Fukushima.

 
 

162 kg de feuilles séchées contaminées en provenance de la préfecture de Shizuoka avaient d'ailleurs été saisis pour destruction à l'aéroport de Roissy à Paris.

Deux ans après le désastre de Fukushima, on continue à mesurer la radioactivité sur des échantillons analysés à l'Institut de Recherche sur le Thé de la province. "Cette année le gouvernement central n'impose plus les tests, mais nous les poursuivons au niveau de la préfecture", explique le responsable de l'Institut, Kazuo Mochizuki.

Dans ces locaux quelque peu désuets, une vingtaine de chercheurs passent leur vie à développer de nouvelles variétés, au besoin génétiquement, à imaginer des traitements contre les maladies ou pour avoir plus de feuilles, explique M. Mochizuki, depuis 20 ans dans cet Institut fondé en 1908.

Avec sa gueule burinée à la Charles Bronson et sa moustache bien taillée, Toshiharu Suguira, lui, a 40 ans de thé au compteur. "Rien n'a changé", dit-il, depuis qu'il a repris les trois hectares de son père au pied de la montagne Agawatake.

Assis à l'ombre du kanji géant, il embrasse la vallée et son tapis vert géométrique d'un regard un peu perdu: "j'espère juste qu'une de mes filles prendra la relève".

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