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Seiji Ozawa a toujours des fourmis dans les mains

Le chef d'orchestre japonais Seiji Ozawa le 3 avril 2013 lors d'une conférence de presse à Tokyo [Toshifumi Kitamura / AFP/Archives] Le chef d'orchestre japonais Seiji Ozawa le 3 avril 2013 lors d'une conférence de presse à Tokyo [Toshifumi Kitamura / AFP/Archives]

Dans l'encadrement de la porte vitrée de la résidence de France à Tokyo, une petite silhouette bleue en contrejour. Sous une casquette à visière, une tignasse grise fou-fou. Pantalon de jogging, parka bleue, et baskets. Difficile de s'imaginer que c'est un des plus grands chefs d'orchestre du monde qui s'avance à petits pas vifs: rencontre avec Seiji Ozawa, rescapé du cancer.

Comme s'il entrait sur scène, il insiste pour se changer avant cet entretien exclusif avec l'AFP: tenue noire stricte mais décontractée.

Vainqueur d'un cancer de l'oesophage et de pneumonies à répétition depuis 2010, Ozawa revient au pupitre, bientôt en Europe, et déborde de vie et de projets. "Si j'avais eu ce cancer il y a 10 ou 15 ans: fini, mort. Mais la médecine a fait d'énormes progrès", dit-il.

Après une pause, il avait tenté un retour, notamment au Carnegie Hall avec la Symphonie Fantastique de Berlioz. Mais il est terrassé par une pneumonie. "pfff... HS", mime-t-il en s'affaissant sur le tabouret de piano.

Sur six concerts prévus, il n'avait pu en diriger que deux.

A-t-il aujourd'hui l'énergie pour diriger des grandes formations? "Il faut aussi penser à la longueur des oeuvres. Il y a deux ans à New York j'avais demandé une pause au milieu du War Requiem de Benjamin Britten, 10-15 minutes. C'était dur. Alors j'ai décidé de prendre un an de repos".

Et il a repris pour la première fois la baguette le 30 mars à Tokyo avec l'ouverture d'Egmont de Beethoven à la tête du Seiji Ozawa orchestra, "mon merveilleux orchestre de jeunes".

C'est Dieu - lequel, il ne sait pas - qui, dit-il, lui a accordé ce supplément de vie. "Je ne suis pas religieux. Mon père est bouddhiste, ma mère était chrétienne. Il doit y avoir quelqu'un là-haut". Un grand chef d'orchestre? Sourire.

"Je vais en tout cas en faire bon usage, de ce temps". Et visiblement "Ozawa le vagabond" voit déjà loin.

Le 30 juin, il sera en Suisse au Victoria Hall de Genève pour retrouver les élèves de son Académie internationale de musique, pour sa première grande "sortie". "On verra. Je n'ai pas re-dirigé d'oeuvres "physiques". Peut-être que je vais diriger maintenant d'une façon, disons, plus concentrée. C'est peut-être ça ma nouvelle vie de chef d'orchestre".

En Suisse, le maestro va préparer "La Nuit transfigurée" de Schoënberg, "pour l'an prochain". "Cette année nous jouerons la sérénade pour cordes de Tchaïkovsky. Pas tout, peut-être le premier mouvement, l'élégie et le final".

Au programme figure également une oeuvre d'un compositeur autrichien. "On ne m'a pas dit son nom. J'aurai juste quatre ou cinq semaines pour l'étudier. Je vais devoir travailler vite".

Vivre

"Vite" semble être le maître-mot: on sent que Seiji Ozawa est avide de vivre, d'étudier, enseigner et diriger.

Fin août, il sera à Matsumoto, pour le Saito Kinen Festival qu'il a créé dans les Alpes japonaises. Quatre concerts autour de Maurice Ravel: il dirigera "L'enfant et les sortilèges" et le chef français Stéphane Denève "L'heure espagnole".

 
 

Souvenir comique d'Herbert von Karajan quand le maestro allemand et lui, en tant que "chef invité" du Philharmonique de Berlin, mettaient au point le programme par téléphone: "mon anglais n'est pas bon mais on le comprend, alors que le sien était terrible", se souvient-il en imitant des grognements dans le combiné. "What? what, Maestro?"

Souvenir encore, installé devant ce clavier inondé de soleil: il voulait être pianiste, mais la passion du rugby a brisé ses rêves vers 14-15 ans: deux doigts cassés. Les index sont effectivement déformés au niveau de la première phalange. "Alors mon maître Hideo Saito m'a dit: pourquoi ne fais-tu pas de la direction d'orchestre? Je n'y avais jamais pensé". Il plaquera tout de même quelques accords. Comme une nostalgie.

Nostalgie aussi de tous ces endroits où Ozawa voudrait retourner l'an prochain et où il se sait attendu: "Je n'ai pas encore de plans précis. Je vais reprendre doucement. J'aimerais aussi retourner à Boston, j'y ai passé 29 ans".

"Avant la maladie, j'avais des plans pour Toronto, mon premier orchestre au Canada, et puis San Francisco où j'étais directeur musical avant Boston. Alors je voudrais bien retrouver ces orchestres, doucement. Ca veut dire qu'il faut que je vive vieux (rire). Je vais essayer".

Et puis la France, dont il aime les musiciens ("ils apprennent vite") et quelques grandes figures comme Charles Münch, "le beau Charles" dit-il, auquel il a succédé à la tête du Boston. "Il était le plus souvent grognon, les sourcils froncés, mais il suffisait qu'il esquisse un sourire et le son de l'orchestre changeait complètement". "J'étais absolument gaga !".

"J'adorerais revenir en France, retrouver ses orchestres, le National, celui de l'Opéra. J'ai beaucoup d'amis là-bas".

Il y a un demi-siècle, Ozawa avait embarqué sur un cargo, avec son scooter. Direction: l'Europe et sa musique. Malgré ces pérégrinations il se dit toujours "très japonais". C'est d'ailleurs, pense-t-il, parce qu'il était asiatique, que Karajan lui avait imposé jusqu'à sa mort ces programmes par téléphone. "Peut-être redoutait-il que, comme asiatique, je concocte des programmes fous. Je ne vois pas d'autre explication".

"Les musiciens asiatiques, poursuit-il, ont de la technique et de la connaissance, mais pour jouer de la musique classique européenne, "il faut aller là-bas, pour la ressentir".

"Il y a des arbres partout dans le monde, des cerisiers à Washington, eh bien il n'y a rien comme les cerisiers en fleurs du Japon. Tout est dans l'atmosphère, le ressenti".

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