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Entre Bruxelles et Strasbourg, la réalité du Parlement racontée par des députés européens

Journée portes ouvertes au Parlement européen de Strasbourg le 4 mai 2014, l'hémicycle était ouvert au public pour des visites [Frederick Florin / AFP] Journée portes ouvertes au Parlement européen de Strasbourg le 4 mai 2014, l'hémicycle était ouvert au public pour des visites [Frederick Florin / AFP]

"Ruche multiculturelle", "anticorps complet au chauvinisme" ou au contraire "machine à broyer les peuples", le Parlement européen est avant tout un lieu où se bâtit le compromis, racontent des eurodéputés qui l’ont vécu quotidiennement, au rythme de leurs aller-retour entre Bruxelles et Strasbourg.

Trois semaines dans la capitale belge, pour discuter des lois en commission, "où se fait l'essentiel du travail", puis une semaine à Strasbourg --"du lundi soir au jeudi midi", précise Philippe Juvin (UMP) -- et enfin la cinquième semaine en circonscription: être eurodéputé, c'est "avoir une bonne valise", résume l'eurodéputé et président du Parti de gauche Jean-Luc Mélenchon.

Mais c'est surtout avoir le sens du compromis: du fait du scrutin de liste, "nous sommes obligés, sur chaque texte, de créer une majorité", explique Sophie Auconie (UDI).

- Une culture du compromis -

"Le compromis est au coeur de la machine parlementaire européenne" alors que "le clivage et la posture" font tourner le Palais Bourbon, compare Gilles Savary, un ancien de Strasbourg, aujourd'hui député PS à l'Assemblée nationale.

Composition du parlement européen sortant, et ses groupes parlementaires [S.Ramis/V.Lefai / AFP/Archives]
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Composition du parlement européen sortant, et ses groupes parlementaires

Une culture de compromis de la "IVe République" que dénonce le député européen FN Bruno Gollnisch: "il n'y a pas de débat politique dans cette assemblée où c'est parfaitement conformiste!"

Car si les débats en commission, à Bruxelles, sont "libres et ouverts", sans limite de temps, les séances plénières à Strasbourg sont formelles: on y vote "à la chaîne", déplore Jean-Luc Mélenchon, souvent selon des feuilles de vote déjà discutées en groupe, les textes ayant été largement débattus en amont, en commission.

De quoi décevoir les afficionados des longues tirades en tribune: à Strasbourg, chaque intervention est limitée, "habituellement à une minute".

"Ce parlement, nous le vivons comme une espèce de chambre d'enregistrement qui est une machine à broyer les peuples, animée par une dynamique de groupe quasi-messianique. Ces gens-là se croient habilités à donner au monde entier des lois, pondent des textes extraordinairement verbeux qui sont à l'opposé de notre génie juridique" français, s'indigne M. Gollnisch, précisant qu'en tant que non-inscrit, il ne peut ni rédiger de rapport, ni présenter de résolution.

"On a créé la bureaucratie dont on espère qu'elle créera une politique", renchérit M. Mélenchon, qui critique sévèrement l'"esprit atlantiste" qui règne selon lui dans les couloirs de Strasbourg.

- "Tour de Babel" -

Strasbourg, façade démocratique sans réel pouvoir face à la bureaucratie "hors sol" de la Commission européenne, qui a seule le pouvoir d'initiative sur les textes de loi européens?

"C'est idiot!": "la Commission propose des lois, mais ne décide pas. S'il n'y a pas de majorité au Parlement, elles n'existent pas!" rétorque M. Cohn-Bendit, qui y siège depuis 1994, tantôt en tant que député français ou allemand.

Les têtes de liste des principaux partis partis du Parlement européen aux élections du 21-25 mai [-, T.Eberding/V.Lefai/S.Ramis / AFP/Archives]
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Les têtes de liste des principaux partis partis du Parlement européen aux élections du 21-25 mai

"Le Parlement européen est un vrai parlement", avec "une possibilité d'amendement considérable": "une fois votés" par les eurodéputés, les textes sont "à mille lieues de ce que la Commission voulait", défend Philippe Juvin.

Un parlement toutefois assez atypique : y siègent 766 députés issus de 28 pays qui président au destin de 380 millions d'électeurs européens, le plus gros électorat au monde derrière l'Inde. Le tout dans 24 langues différentes.

"C'est la tour de Babel", résume, grinçant, Jean-Luc Mélenchon. "Celui qui ne parle pas anglais, il faut qu'il fasse un autre métier", lance Philippe Juvin, qui s'est mis à l'allemand et à l'italien en arrivant au Parlement.

Car si les débats en séance plénière sont traduits, les discussions informelles autour d'un café, celles qui forgent les alliances et le débat politique, donnent lieu à des situations ubuesques : "avec un collègue hongrois, je communiquais en japonais", raconte Bruno Gollnisch.

Les divergences ne sont d'ailleurs pas que linguistiques: entre un Norvégien et un Italien, les différences culturelles se font vite sentir. "Il n'y a pas plus sévère qu'un socialiste allemand à l'égard d'un socialiste français", s'amuse Philippe Juvin, tandis que sa collègue UMP Nora Berra souligne la fracture des Français avec certains eurodéputés de droite, notamment polonais ou roumains, à propos de la laïcité.

"Le plus grand clivage au Parlement européen, c'est entre les pro-européens et les eurosceptiques", tranche le socialiste Gilles Savary.

Une répartition des rôles qui se retrouve dans la perception qu'ont les eurodéputés de leur mandat. Les "europhobes" tiennent tribune, à la manière de "Saint Jean-Baptiste: la voix qui crie dans le désert", affirme Bruno Gollnisch.

Jean-Luc Mélenchon écrit "des kilomètres" dans son blog et sillonne le terrain, effectuant "un travail d'éducation populaire" pour expliquer son Europe.

Daniel Cohn-Bendit, lui, a cherché à instiller de l'Europe "dans le débat public : écrire des textes, donner des interviews..."

"Intellectuellement", "un certain nombre de députés sont fainéants", affirme-t-il. Ou "se trompent" en se croyant les "ambassadeurs de l'intérêt national", alors qu'ils devraient avant tout "comprendre et définir l'intérêt commun européen".

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