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Guillaume Bernard : "La défaite de Fillon est profonde"

Guillaume Bernard, politologue Guillaume Bernard, politologue[MERIADECK / DIRECT 8]

Après ving-quatre heures d'attente, Jean-François Copé a été élu président de l'UMP avec une très faible avance sur son rival François Fillon. L'impact de ce scrutin sur l'UMP s'annonce profond. L'analyse de Guillaume Bernard, politologue, maître de conférence (HDR) à l'ICES (Institut catholique d'études supérieures).

 

Quel était finalement l’objet de la consultation des adhérents de l’UMP ? 

Ils étaient invités à désigner « un ticket » (président, vice-président, secrétaire général) pour un mandat de trois ans. Parallèlement, ils devaient se prononcer sur différentes « motions » qui, si elles obtenaient au moins 10 % des suffrages, pouvaient devenir des « mouvements » internes au parti, ce qui est une nouveauté à l’UMP (même si ce principe était inscrit dans les statuts depuis 2002).

La compétition était donc double : d’une part, une querelle de personnes, de l’autre une lutte pour la représentativité dans le domaine des idées (d’ailleurs plus ou moins précises). Au final, sur les 300 000 adhérents revendiqués, un peu plus de 176 000 se sont déplacés pour aller voter.

 

Jean-François Copé a été élu Président de l’UMP avec 50, 03 % des voix. Comment analyser ce résultat ?

Si l’écart entre les deux candidats est plus que minime (98 voix), ce résultat est cependant très instructif. La victoire de Jean-François Copé est courte, mais la défaite de François Fillon, elle, est nettement plus profonde, non pas en terme de résultat mais de symbole. Il était, en effet, donné, dans toutes les enquêtes d’opinion, comme l’inéluctable vainqueur avec plus de 65 % des voix.

Il s’agit donc plus d’un échec de l’ancien Premier ministre que d’une authentique victoire de l’ex-secrétaire général. La campagne plus tranchée de Jean-François Copé lui a sans doute permis de rattraper le retard sur son concurrent. Mais, ce résultat manifeste aussi une nette division du parti, du moins quant au style préconisé en matière de discours.

 

Y avait-il des différences profondes entre les deux candidats ?

Les soutiens des deux candidats ont cherché à mettre en valeur des personnalités et des sensibilités distinctes : un homme ayant l’expérience du pouvoir au plus haut niveau d’un côté, un homme dévoué au mouvement de l’autre, un gaulliste social contre un partisan d’une « droite décomplexée ».

Mais, quant à leurs programmes, les différences étaient et restent assez ténues. Ils n’ont pas de divergences idéologiques d’envergure : ainsi, l’un comme l’autre sont-ils favorables à une économie de type libéral ou la poursuite de l’intégration européenne…  

 

L’imbroglio des dépouillements va-t-il laisser des traces ?

Il est certain que lorsque les deux candidats annoncent, à quelques minutes d’intervalle, leur victoire respective ou que les deux camps s’invectivent en s’accusant mutuellement de fraude, cela ne favorise pas la réconciliation et ne contribue pas à donner l’image d’un parti serein et prêt à reconquérir le pouvoir (local et national).

Cependant, si les egos personnels ont été froissés, il n’y a pas de fracture idéologique (entre les ténors). En outre, les personnalités ont un intérêt commun de carrière : répartir entre les membres de leurs clans les investitures pour les prochaines élections. Il y a donc fort à parier que les esprits se calmeront. Les possibles irrégularités n’ont-elles pas déjà été requalifiées en de simples irrégularités dues à de l’incompétence ou de l’impréparation ?

En fait, ceux qui ont le plus de raisons de regretter ce spectacle tragi-comique, ce sont les militants de l’UMP, ceux qui ne tireront jamais profit, en terme de mandat, de leur engagement. Ils peuvent en ressentir un immense désarroi. Quant aux autres partis, étant donné leurs propres expériences, ils ne peuvent guère donner de leçons…

 

L’avenir de l’UMP est-il hypothéqué ? Y a-t-il, en particulier, un risque d’implosion de ce parti ?

La crédibilité est, pour l’heure, entamée. Mais, le temps favorise l’oubli et, ce, d’autant plus qu’en politique un sujet en chasse très rapidement un autre. L’unité de cette organisation n’est pas vraiment en danger : s’agissant d’un parti de gouvernement, les échéances électorales joueront un rôle fédérateur.

Si l’UMP devait, un jour, imploser, ce ne serait pas à cause d’une querelle interne pour le leadership, mais en raison d’une distorsion devenue intenable entre sa direction et sa base électorale. Les prochaines élections municipales seront l’occasion de la (re)naissance d’une tension de ce type en particulier quant à la tentation d’alliances locales avec le Front national.

 

Quelle sera la marge de manœuvre de la direction de l’UMP ?

Assurément, elle sera assez faible. La position du vainqueur est friable. Des compromis (avec les « non-alignés » voire des partisans de l’autre camp) devront sûrement être trouvés pour essayer de fédérer au mieux le parti et éviter la paralysie. Sinon, il pourrait y avoir un retournement de situation lors des prochaines élections internes, en 2015, et à l’occasion des primaires qui devraient être organisées pour désigner le candidat de l’UMP à l’élection présidentielle de 2017.

Etant donné les rapports de force internes, la solidité de la position de la nouvelle direction de l’UMP dépendra de sa capacité à gagner les prochaines élections : les municipales et les européennes.

 

Que penser du recours à un homme « providentiel », Nicolas Sarkozy pour ne pas le citer ?

Effectivement, après un tel déchirement, Nicolas Sarkozy peut apparaître comme l’homme du rassemblement et, ce, d’autant plus que les « Sarkozystes » s’étaient habilement répartis entre les deux candidats : Claude Guéant pour Fillon, Brice Hortefeux pour Copé, par exemple. Une grande partie des sympathisants de l’UMP voient d’ailleurs cette idée avec sympathie.

Cependant, il ne faudrait pas se leurrer. Malgré toutes les déclarations qui ont pu être faites, il est plus que probable que personne, parmi les personnalités nationales de l’UMP, ne souhaite vraiment un tel retour car il obèrerait leurs ambitions personnelles.

 

Quels sont les points saillants du vote sur les motions ?

Les résultats de motions ont été éclipsés par l’imbroglio autour du décompte des voix pour l’élection du président de l’UMP. Or, ce sont, là, les résultats les plus significatifs même si, pour l’instant, ils ne sont que partiels. Deux grandes lignes semblent se dégager : d’une part, ce sont les motions portées par des personnes ou des clans ayant une influence jugée marginale qui sont arrivées en tête (la « Droite forte » et la « Droite sociale ») ; d’autre part, le courant le plus représentatif est celui qui assume un positionnement droitier.

En effet, en additionnant la « Droite forte » et la « Droite populaire », les positions droitistes recueillent plus de 35 % des votes des adhérents. Il semble donc que, d’un côté, les adhérents souhaitent un renouvellement des cadres de leur parti et que, de l’autre, la « stratégie Buisson » (pour simplifier) s’implante durablement au sein de l’UMP.

 

Est-ce, là, un épiphénomène ou un mouvement plus profond ?

La vie politique française est désormais marquée par ce que j’appelle un mouvement « dextrogyre » (qui n’est pas une « simple » droitisation) et auquel l’UMP paraît ne pas échapper. Pendant deux siècles, jusqu’à la chute du mur de Berlin, la vie politique a connu un mouvement « sinistrogyre », selon l’expression d’Albert Thibaudet, c’est-à-dire que les nouvelles forces apparaissaient par la gauche de l’échiquier politique.

Désormais, le mouvement s’est inversé : l’offensive intellectuelle vient par la droite. Les organisations populistes en Europe ou le « Tea party » aux Etats-Unis en sont des manifestations explicites. Il ne s’agit pas d’une simple radicalisation des idées de droite ou d’une crispation du personnel politique classé à droite, mais d’un renouvellement des argumentaires et de l’articulation des concepts. A côté de valeurs « classiques » comme celle de la sociabilité naturelle (les corps sociaux, comme la famille, sont un donné auquel les personnes adhèrent et non une construction dépendant uniquement de la volonté individuelle, d’où l’opposition au « mariage » homosexuel), des idées modernes connaissent des mutations. C’est ainsi que, par exemple, la laïcité, qui avait été conçue comme une arme de combat contre le catholicisme, se révèle un moyen de lutte contre le multiculturalisme.

Pour ce qui concerne l’UMP, il est encore trop tôt pour dire si ceux qui adoptent un positionnement droitiste le font parce qu’ils accompagnent ce mouvement dextrogyre ou s’ils cherchent à l’endiguer. L’avenir le dira…

 

Guillaume Bernard est Maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a, notamment, codirigé l’ouvrage suivant : Dictionnaire de la politique et de l’administration, Paris, PUF, 2011.

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