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"Une assemblée pour le Président", par Guillaume Bernard, politologue

Guillaume Bernard Guillaume Bernard, politologue[MERIADECK / DIRECT8]

Les résultats du second tour des élections législatives dessinent le visage politique de la France pour les cinq prochaines années. L'analyse de Guillaume Bernard, politologue, maître de conférences (HDR) à l'ICES (Institut catholique d'études supérieures)*.

* * *

 

Que signifie et quelles sont les conséquences de cette abstention record ?

44 % d’abstention pour un second tour d’élections législatives, c’est 4 points de plus qu’en 2007, 9 par rapport à 2002 et 12 par rapport à 1997 !

Cela confirme la désaffection des électeurs manifestant le phénomène majoritaire (c’est l’élection présidentielle qui détermine l’orientation politique du quinquennat) et le manque de ferveur des électeurs (en particulier, le camp qui a perdu la présidentielle se démobilise). Il est vrai que la qualité de la campagne a été plus que médiocre : les crises (économique, sociale, culturelle, etc.) ont été occultées. La gauche ne voulait pas être amenée à parler d’éventuelles mesures qui pourraient décevoir son électorat, la droite, d’une certaine manière, ne voulait pas gagner. Aussi, les débats ont-ils été réduits à des enjeux de personnes et de leurs carrières (Hénin-Beaumont, La Rochelle).  

Les conséquences sur l’élection sont généralement les mêmes : s’il faudra regarder chaque circonscription précisément, l’abstention favorise, en règle générale, le candidat arrivé en tête au premier tour.

Le PS est-il à l'aise désormais pour gouverner et légiférer ?

Avec plus de 289 députés (302), le PS (avec les divers gauche qui représentent 22 élus) obtient la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Il n’aura donc pas besoin de ses alliés pour gouverner. Cela donne au PS une véritable marge de manœuvre.

Cependant, la gauche dans son ensemble (avec les écologistes, les radicaux et les communistes) n’atteint pas les 370 députés qui lui étaient nécessaires pour pouvoir contrôler la majorité des 3 / 5 au Congrès – c’est-à-dire la réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat – nécessaire pour réviser la Constitution. Cela devrait obérer les velléités de la gauche pour ce qui concerne le droit de vote des étrangers extra-européens aux élections locales et la réinstauration d’une laïcité « de combat ».

L'échec de Ségolène Royal à La Rochelle, est-il une alerte pour le Parti socialiste ?

Pour ce qui concerne sa légitimité électorale à gouverner, non. En revanche, il est certain que cela devrait provoquer, d’une part, bien des remous au sein du PS (puisque Ségolène Royal était le candidat officiel du parti) et, d’autre part, une terrible image de division au sein du couple présidentiel (puisque la compagne du président de la République avait soutenu, contre la volonté de ce dernier, le candidat dissident).

Il s’agit donc du (premier ?) camouflet pour François Hollande.

Dans quel état l’UMP sort-elle de cette élection ?

Avec un peu moins de 200 députés (194) auxquels il est possible d’ajouter 15 divers droite, l’UMP perd une centaine d’élus. C’est donc, évidemment, une défaite. Quant à ses alliés de droite (Nouveau centre et Radicaux valoisiens) pèsent peu (vingt élus en tout).

Mais, le plus difficile est sans doute à venir. Au-delà des conflits de personnes (Jean-François Copé contre François Fillon ?), le principal enjeu du congrès de l’automne prochain sera de déterminer, tout en maintenant son unité, un discours audible et crédible. Pour résumer : pour ou contre la « stratégie Buisson ». Sa réussite aux prochaines élections locales (indépendamment de l’effet de balancier qui pourrait jouer en sa faveur) dépendra sans doute de cela.

Avec une poignée de députés à l'Assemblée nationale, le FN a t-il remporté une victoire ? Cela peut-il donner une nouvelle dimension au mouvement ?

Le FN avait espéré pouvoir maintenir 150 candidats au second tour des législatives (il y avait eu un peu plus de 70 triangulaires dans lesquelles il était présent en 1997). Mais, avec une abstention record, l’accès au second tour a été difficile pour les candidats du FN. Au final, il a du se contenter d’une soixantaine de cas (la moitié dans le cadre de triangulaires, l’autre dans le cadre de duels, les 2 / 3 face à la gauche, le tiers face à la droite).

Le FN a déjà envoyé des députés à l’Assemblée nationale : il en a eu une trentaine entre 1986 et 1988 grâce à un scrutin proportionnel. En 1989, lors d’une législative partielle, Marie-France Stirbois fut élue au scrutin majoritaire. 2012 est donc une nouveauté : le FN a plusieurs élus au scrutin majoritaire lors d’une législative « normale ». Toutefois, avec seulement deux députés, le FN reste fragile. Il semble qu’il n’obtient des élus que dans le cadre de triangulaires et non de duels (défaites, sur le fil, de Marine Le Pen, Stéphane Ravier et de Valérie Laupies). Par ailleurs, c’est dans le cadre de terres plutôt de droite qu’il passe et non dans des circonscriptions traditionnellement inscrites à gauche. Mais l’analyse devra être affinée.

Le « front républicain » contre le FN est-il encore d’actualité ?

Les digues ne tombent pas encore, mais elles se fissurent. Pour l’état-major national de l’UMP, c’est le « ni ni » : ni le Front national, ni le Front républicain. Mais, au niveau local – conformément d’ailleurs à ce que souhaite la majorité de sa base électorale –, des rapprochements avec le FN se sont dessinés. Ils ne semblent pas, toutefois, avoir été (pou l’instant ?) payants. Mais, le fort taux d’abstention et la désaffection probable des électeurs de droite brouillent l’analyse.

Le centre est-il mort avec le Modem ? Où sont les centristes aujourd'hui ?

Elu depuis 1986 dans la même circonscription, François Bayrou est battu par la candidate socialiste dans le cadre d’une triangulaire avec l’UMP. Il est certain que le Modem est décapité (même s’il a deux députés) et que son avenir est hypothéqué : cela va être la traversée du désert. Cependant, en politique tout (ou presque) est toujours possible.

En tout cas, le Centre, lui, continue d’exister. Mais, contrairement à ce qu’avait voulu réaliser François Bayrou – un centre indépendant –, la bipolarisation de la vie politique française (cristallisée par l’élection présidentielle) impose au centre d’être l’allié de l’un des deux camps. Sous la Ve République, il a toujours été allié à la droite : c’est encore le cas du Nouveau centre, outre le fait qu’il y ait des anciens membres de l’UDF qui se sont ralliés à l’UMP lors de la création de celui-ci en 2002.

En terme de groupes parlementaires, quel visage la nouvelle assemblée va-t-elle prendre ?

Actuellement, il faut 15 députés pour constituer un groupe parlementaire. Or, si les écologistes, avec 17 élus, sont assurés d’atteindre un nombre suffisant, d’autres tendances politiques ne franchissent pas cette barre : les radicaux de gauche (12 élus), le Front de gauche (10 élus), le Nouveau centre (14 élus).

Le règlement intérieur de l’Assemblée nationale sera-t-il modifié pour permettre à ces petites formations de constituer des groupes indépendants ? Le PS ayant la majorité à lui seul, il est possible qu’il fasse cette fleur à ses partenaires de la gauche. Cependant, il est tout aussi possible qu’il se refuse à voir ses alliés pouvoir s’organiser en forces constituées qui pourraient, sinon faire éclater, du moins créer de trop fortes dissensions au sein la majorité de gauche.

Y aura-t-il un remaniement ministériel ?

Jean-Marc Ayrault avait annoncé que le ministre candidat à l’élection législative qui ne serait pas élu devrait démissionner. Il s’agit, là, d’une position purement politique mais aucunement imposée par une règle juridique (constitutionnelle). Or, aucun des ministres candidats aux législatives (ils ne l’étaient pas tous) n’a été battu. Il ne devrait donc pas y avoir de démission.

Cependant, il est fort probable qu’il y aura un remaniement du gouvernement pour tenir compte des résultats des législatives : le Premier ministre l’a sous-entendu durant son allocution. Certains noms, comme celui de Robert Hue, l’ancien secrétaire général du Parti communiste, qui avait apporté son soutien dès le premier tour de la présidentielle à François Hollande, sont prononcés. Mais, il est toujours périlleux de faire des pronostics. 

*Guillaume Bernard a notamment, codirigé les ouvrages suivants : Les forces politiques françaises, Paris, PUF, 2007 ; Les forces syndicales françaises, Paris, PUF, 2010.

 

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