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Simon Leys, iconoclaste et érudit raffiné

L'auteur Pierre Ryckmans qui a cérit sous le nom de Simon Leys dans sa maison de Canberra (Australie) le 1er avril 1998 [William West / AFP/Archives] L'auteur Pierre Ryckmans qui a cérit sous le nom de Simon Leys dans sa maison de Canberra (Australie) le 1er avril 1998 [William West / AFP/Archives]

Sinologue, érudit raffiné, Simon Leys, de son vrai nom Pierre Ryckmans, décédé lundi en Australie à 78 ans, avait dénoncé, en plein aveuglement maoïste en France, les réalités de la révolution culturelle et laisse une oeuvre éclectique au ton souvent réjouissant.

Elève des jésuites et des pères de l'université catholique de Louvain, Simon Leys était tout le contraire d'un spécialiste enfermé dans sa discipline.

Ayant choisi son nom de plume en référence au personnage de René Leys dans un roman de Victor Ségalen - voyageur français dans la Chine de la fin du XIXe siècle -, il était capable d'évoquer aussi bien la peinture de Shitao que Stephen King, Don Quichotte ou George Orwell. "Le divorce de la littérature et du savoir est une plaie de notre époque et un des aspects caractéristiques de la barbarie moderne où, la plupart du temps, on voit des écrivains incultes tourner le dos à des savants qui écrivent en charabia", disait-il.

Il a 20 ans quand il découvre la Chine. Il parle et lit parfaitement la langue, épouse une chinoise et publie en 1971, en plein délire maoïste chez les intellectuels européens - et singulièrement français - "Les Habits neufs du président Mao", un livre iconoclaste où il dénonce la réalité de la révolution culturelle.

A l'heure où les soixante-huitards maoïstes - et avec eux tout un cortège d'intellectuels comme Michel Foucault ou Jean-Paul Sartre - voient en elle une lutte grandiose et "spontanée" des masses contre les appareils bureaucratiques, Simon Leys démontre qu'il s'agit d'un médiocre combat entre des élites corrompues qui n'hésitent pas à broyer la vie de millions de personnes pour parvenir à leurs fins.

- 'on se sera bien amusé !' -

Pour ces écrits, Leys connaîtra l'insulte et le mépris, se faisant, entre autres, accuser d'être un agent de la CIA. Il faudra attendre 1983 pour qu'on l'entende à la télévision française, dans l'émission Apostrophes de Bernard Pivot, à l'occasion de la publication du livre sur la Chine de Maria Antonietta Macciocchi dont il dira: "Il est normal que les imbéciles profèrent des imbécillités comme les pommiers produisent des pommes, mais je ne peux pas accepter, moi qui ai vu le fleuve Jaune charrier des cadavres chaque jour depuis mes fenêtres, cette vision idyllique de la Révolution culturelle."

Simon Leys "était une grande figure du monde intellectuel francophone depuis plus de quarante ans", a souligné la ministre de la Culture Aurélie Filippetti, saluant cet "amoureux de la littérature, du débat d'idées et de la langue française, lui, ce Belge bilingue qui en avait fait sa langue essentielle d'écriture".

Auteur de nombreux autres essais sur la Chine, notamment "La forêt en feu" (1983), Simon Leys était également traducteur - notamment de Simone Weil et essayiste. Il s'était installé en 1970 en Australie où il a longtemps enseigné la littérature chinoise à l'université de Canberra. Il laisse une oeuvre importante, éclectique où il marie avec bonheur sérieux scientifique et ironie mordante.

Il avait en particulier publié en 1984 un "Orwell ou l'Horreur de la politique", où il évoquait la proximité de leurs tempéraments: même goût de la vérité, même habitude d'avoir raison contre l'intelligentsia, même désinvolture aussi.

Leys soulignait par exemple qu'au lendemain de la publication de "1984", le livre qui fera enfin "reconnaître" l'auteur britannique, celui-ci se contentera d'aller s'acheter une nouvelle canne à pêche.

Plusieurs fois récompensé, notamment par le prix Renaudot en 2003 dans la catégorie essais, cet érudit discret, à l'air de séminariste fiévreux, se faisait rare et donnait très peu d'interviews.

Il faisait les choses qu'il aimait: "Cela ne servira peut-être à rien mais en attendant on se sera bien amusé!", confiait-il en 1983 au Nouvel Observateur.

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