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Poutine, le pompier pyromane en Syrie, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

Tout a commencé lundi 28 septembre, à l’ouverture de l’assemblée générale des Nations unies, grand carrefour annuel des responsables politiques de la planète. Tout, c’est-à-dire le show Poutine : le leader russe avait réussi à faire croire, par médias interposés, qu’il allait prendre une initiative diplomatique pour contribuer à la sortie de guerre en Syrie. Il a fallu quatre jours pour que ces mêmes médias réalisent qu’il n’avait pas changé de position et que sa politique était, et resterait, de protéger Bachar al-Assad. Ce qui veut dire que les frappes aériennes russes – qu’il juge légitimes alors que les frappes françaises ne le sont pas à ses yeux – ne seraient pas dirigées principalement contre Daesh, mais contre l’opposition syrienne à Bachar al-Assad, celle que les Européens et les Américains s’efforcent d’aider.

L’avantage de Vladimir Poutine tient à l’illusion qui s’est installée dans une partie de l’opinion, selon ­laquelle l’exode syrien, donc la question des réfugiés (qui ne veulent pas venir en France, pas plus que la France ne cherche à les accueillir) a pour première cause la guerre que mène Daesh en Syrie et en Irak. Oui, Daesh est bien une organisation terroriste qui massacre et entend exporter son terrorisme jusque dans nos pays, aidée par quelques milliers d’Européens venus s’enrôler et combattre au nom d’un islam détourné et fanatique (parmi lesquels un peu plus d’un millier de russophones).

Mais la cause première de l’exode réside dans les massacres perpétrés par Bachar al-Assad contre le peuple syrien qui, au moment du printemps arabe, avait cru pouvoir rêver de liberté. La moitié de la population syrienne a été déplacée, et quatre millions de personnes ont quitté le pays (dont un demi-million vers l’Europe). Bachar al-Assad n’a tenu que grâce au soutien militaire de Poutine et des mollahs iraniens. Et ce, avant que Daesh ne se constitue en force armée sur les décombres d’une partie de l’armée irakienne. La responsabilité de Poutine est entière : c’est un pompier pyromane. S’il persiste dans ce soutien à Bachar al-Assad, alors que celui-ci a connu un affaiblissement militaire rapide au cours des derniers mois, c’est au nom de l’idée qu’il se fait de l’intérêt russe : conserver en Syrie un point d’appui stratégique et une plate-forme qui lui permette de redevenir un acteur de la scène mondiale. A l’égal des Etats-Unis.

Ces derniers sont apparus, à l’occasion de cette ­séquence poutinienne, comme les grands perdants. Poutine avait d’ailleurs entamé son discours à la ­tribune des Nations unies en faisant part de son émotion, car il parlait ­devant une ­institution dont la création avait été décidée «à Yalta, en Crimée, dans mon pays». Par ces mots, il s’offrait le luxe de ­solenniser l’annexion par ses pro­pres troupes de la Crimée, envers et contre tous les textes des Nations unies.

Les Etats-Unis paient d’un prix politique très élevé leur relative passivité dans la région, depuis que ­Barack Obama avait, conformément à ses engagements de campagne électorale, retiré plus vite que prévu ce qui restait du contingent américain en Irak. Et, lorsqu’en 2013, François Hollande avait proposé de frapper les forces de Bachar al-Assad, alors très affaiblies, Obama avait reculé. A l’époque, il est vrai, Poutine avait regroupé dix-neuf navires dont les ­militaires pensaient qu’ils pouvaient riposter à des frappes occidentales. Quant aux actions actuelles de la coalition menée par les Etats-Unis, elles ne semblent pas, aux dires de spécialistes américains, cibler suffisamment Daesh pour être efficaces. Cette action en demi-teinte a été promptement mise à profit par Poutine. S’il n’est pas exclu qu’un jour Poutine puisse contribuer à une solution politique dans la ­région, pour l’heure ses actions comportent plus de risques que de progrès. 

 

Jean-Marie Colombani

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