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Chine : au bord du fleuve Amour, les souvenirs amers des descendants d'exilés russes

Le Chinois d'origine russe Xu Weiyi, 81 ans, dans le village frontalier de Hongjiang, en Chine. [WANG ZHAO / AFP] Le Chinois d'origine russe Xu Weiyi, 81 ans, dans le village frontalier de Hongjiang, en Chine. [WANG ZHAO / AFP]

Xu Weiyi a été violemment battu, accusé d'espionner pour le compte de Moscou, parce qu'il était né d'une mère russe. Et pourtant, ce Chinois aux yeux bleus est resté de ce côté-ci du fleuve Amour, plutôt que de rejoindre l'Union soviétique.

 

"Ma mère était trop âgée, donc c'est surtout mon frère, ma soeur et moi qui avons pris les coups", raconte M. Xu, 81 ans. "Tout ce que je voulais, c'était m'enfuir".

Ils ont beau avoir un passé communiste commun, Russes et Chinois ont été un temps frères ennemis pendant la Révolution culturelle (1966-1976) lancée par Mao Zedong, après une sévère dégradation des relations sino-soviétiques dès la fin des années 1950.

Cette semaine, le président russe Vladimir Poutine sera l'un des rares dirigeants internationaux de premier plan à se rendre en Chine pour un gigantesque défilé commémorant la fin de la Seconde guerre mondiale. Mais les relations n'ont pas toujours été aussi étroites.

M. Xu a hérité ses perçants yeux bleus de sa mère, une Russe qui, comme une vingtaine de ses compatriotes, ont fui la Russie et les bouleversements consécutifs à la Révolution d'Octobre de 1917 pour rejoindre la Chine, franchissant alors le fleuve Amour gelé.

Réfugiées à Hongjiang, un village du Nord-Est chinois où elles ont épousé des paysans, elles ont néanmoins conservé leurs traditions : prières chrétiennes orthodoxes, chants populaires...

A la fin de la Seconde guerre mondiale, certains de ces villageois ont ensuite assisté l'armée soviétique contre les Japonais.

Plus tard, lorsque les relations sino-russes ont viré à l'aigre, ces familles ont été accusées d'espionnage. Xu Weiyi se souvient des interrogatoires publics et des passages à tabac quotidiens par des villageois et des cadres communistes.

La période a été marquée par beaucoup de suicides. A l'époque, M. Xu a pensé faire le chemin inverse de sa mère, vers la Russie.

"J'ai vu qu'il y avait des trous dans le mur marquant la frontière et j'avais la force suffisante pour nager", se souvient-il. Mais les liens familiaux l'ont retenu.

"Je me suis dit... toute ma famille va rester ici, qu'est-ce qu'elle va faire ? Les personnes âgées, les enfants...", explique M. Xu. "Donc je suis resté en me disant +qu'on vive ou qu'on meure, ce sera ensemble+".

 

Avide de vengeance

En plus des appels à attaquer les anciens propriétaires terriens, les intellectuels et leurs descendants, le maoïsme avait une teinte xénophobe: durant la Révolution culturelle, où la justice populaire avait libre cours, quiconque avait eu un contact avec un étranger était susceptible d'être étiqueté "espion".

Les descendants de Russes en ont fait les frais quand la tension est montée entre Russes et Chinois. Dans les années 1960, près des trois quarts des 300 habitants du village de Hongjiang, situé dans la province du Heilongjiang, avaient du sang russe. "Ils vous accusaient de quelque chose, peu importe quoi", explique Xu Yingjie, métis sino-russe de 76 ans.

Le métis sino-russe Xu Yingjie (c), 76 ans, le 3 juillet 2015 chez lui à Hongjiang, dans le nord-est de la Chine [WANG ZHAO / AFP]
Photo ci-dessus
Le métis sino-russe Xu Yingjie (c), 76 ans, le 3 juillet 2015 chez lui à Hongjiang, dans le nord-est de la Chine
 

 

Si Zhang Yunfu, lui aussi d'origine russe, a effectivement renseigné l'armée russe à une époque, c'était au nom de la lutte contre les troupes japonaises. Mais des années plus tard, des officiels chinois n'ont pas hésité à brandir des lettres qu'il avait envoyées à l'Union soviétique comme preuves de sa déloyauté envers la Chine. Enfermé dans une étable, régulièrement passé à tabac, il s'est suicidé en août 1968.

Près de cinq décennies plus tard, son fils Zhang Yunshan -qui avait alors 13 ans -, raconte, amer, la mort de son père et les obsèques précipitées organisées par les autorités communistes.

"Mon père n'en pouvait plus. Il a sauté dans un puits", explique-t-il, en soulignant que certains des bourreaux vivent encore alentour.

Pour sa part, Xu Weiyi a encouragé ses enfants à épouser des Chinoises "de souche" pour diluer le sang russe des origines et protéger ainsi ses petits-enfants.

Comme des dizaines de milliers de victimes de la Révolution culturelle, le père de M. Zhang a vu sa condamnation "annulée" quand Deng Xiaoping, successeur de Mao, est arrivé au pouvoir à la fin des années 1970.

"Quand j'étais plus jeune, j'étais avide de vengeance. Mais à quoi servirait la vengeance ?", demande son fils.

 

"Fier d'être russe"

Pékin contrôle encore assez étroitement le sujet de la Révolution culturelle, mais les médias chinois ont pu rapporter au cours des dernières années l'histoire de ces villageois.

Les relations entre la Chine et la Russie se sont réchauffées avec Deng Xiaoping et les deux pays ont finalement résolu leurs derniers conflits frontaliers en 2004.

Ils s'entendent désormais souvent sur les votes au Conseil de sécurité de l'ONU, la Chine est un marché clé pour le pétrole et le gaz russe, et des exercices militaires conjoints sont organisés, de la mer du Japon à la Méditerranée.

Le Parti communiste, qui vilipendait naguère les Soviétiques, fait désormais la promotion du patrimoine russe des zones frontalières.

Hongjiang revendique aujourd'hui sa part d'histoire. Un grand panneau intitulé "Village de la minorité russe" accueille les visiteurs et une salle de réunion de style européen a même été construite.

A quelques kilomètres de là, un hameau s'est labellisé "Village numéro un de la minorité russe" et organise un festival annuel avec musiques folkloriques et danses slaves. "Je suis fier d'être russe", lance Wang Yanqing, un habitant. Et d'affirmer: "Maintenant, les Russes sont très populaires !"

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