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La Russie entre guerre et paix, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

Qui a suivi la récente conférence de presse du secrétaire d’Etat américain John Kerry, donnée à Sotchi après son entrevue avec le président russe Vladimir Poutine, pouvait se croire revenu au bon vieux temps de "la détente, l’entente et la coopération", comme disait le général de Gaulle. Qu’on en juge : convergence de vues sur le nucléaire iranien, sur les conséquences et la nocivité du chaos libyen, sur la situation au Yémen, évocation commune d’une "transition politique" en Syrie alors même que Bachar al-Assad se maintient grâce à l’aide des Russes et des Iraniens, et même, réaffirmation de la validité du processus de Minsk initié par Angela Merkel et François Hollande pour tenter de stopper la crise ukrainienne. John Kerry a fait référence constamment à ses discussions avec «Serguei» (Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères) et redit à quel point il était important de se parler. En effet ! Mais en dehors de ce constat de bon sens, la réalité est infiniment plus inquiétante que ne pourraient le laisser penser les propos du secrétaire d’Etat américain.

En raison du contexte, qui ne porte guère à l’optimisme. L’avant-veille de la rencontre avaient lieu les grandioses cérémonies commémorant la victoire sur le nazisme, nouvelle occasion pour le Kremlin d’une réécriture de l’Histoire passant par l’éloge du pacte germano-soviétique ! La rectification est venue d’Angela Merkel, en visite le lendemain à Moscou, qui a rappelé au président russe le pacte secret liant Staline et Hitler sur le partage de la Pologne et des Etats baltes. Quant à l’ami Serguei, il avait fait précéder la visite de John Kerry d’un commentaire accusant les Etats-Unis de vouloir encercler la Russie, d’être responsables de la crise ukrainienne et de conduire des manœuvres de l’Otan menaçantes. Il y a des manœuvres en effet mais précisément parce que les Etats baltes se sentent en insécurité, depuis l’annexion par la Russie de la Crimée, et plus encore depuis l’offensive des séparatistes à l’est de l’Ukraine.

Or, selon l’opposition russe, précisément les amis de l’opposant assassiné Boris Nemtsov, ce sont entre huit et dix mille soldats russes qui sont entrés en Ukraine. Quelque deux cents d’entre eux sont morts et force détails ont été donnés sur la manière dont le Kremlin a tenté de maquiller cette présence.

Mais la discussion a eu lieu. A-t-elle permis d’avancer ? Sur le front syrien, l’éventuel ralliement de Moscou à une solution politique dépend de la poursuite de l’affaiblissement de Bachar al-Assad sur le terrain. Ce serait une évolution considérable et certainement de nature à modifier et la situation sur place, et la relation entre Russes et Occidentaux. Quant à l’Ukraine, les avis des experts sont partagés : pour les uns, la Russie prépare une nouvelle offensive, la plupart des précédentes ayant été d’abord masquées par des propos conciliants ; pour les autres, la rencontre Poutine-Kerry est la preuve de la recherche d’un compromis, lequel serait alors l’application réelle des accords de Minsk.

La réalité telle que l’on peut l’apercevoir est sans doute entre les deux : pour Vladimir Poutine, l’objectif immédiat est sans doute d’éviter qu’en juin prochain l’Europe renforce les sanctions. Des civils et des militaires meurent en Ukraine, et doivent continuer à mourir, car la pression locale doit être maintenue ; ne serait-ce que parce que, ce faisant, l’Ukraine continue de s’affaiblir. Mais point trop n’en faut, car il faut pouvoir se prévaloir d’un calme relatif… Ce n’est pas la recherche d’une sortie de crise, mais plutôt la gestion de la crise par un autocrate qui doit sa popularité au chemin retrouvé de la "grandeur" de feu l’Union soviétique. 

Jean-Marie Colombani

 

 

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