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La vraie nature du régime turc, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Après dix ans de gouvernement de la Turquie, Recep Erdogan nous montre au fur et à mesure d’une présidence nouvellement acquise sa vraie nature : celle d’un autocrate, idéologue, d’un islamisme militant cherchant à profiter du chaos actuel dans lequel est plongé tout le Proche-Orient.

 

 

Sur ses affiches électorales lors de la campagne présidentielle, il promettait, sur fond d’images de modernité, une «Nouvelle Turquie». Le symbole de cette «Nouvelle Turquie» est désormais, hélas, le siège de la ville frontière de Kobané, ville kurde, ville martyre assiégée par les égorgeurs du groupe Daesh, sous le regard impassible de soldats turcs aux commandes de leurs chars alignés à quelques kilomètres des combats.

Hier, avant Erdogan, la Turquie, forte d’une croissance tirée par son rapprochement avec l’Union européenne, paraissait être une puissance stabilisatrice. Alliée à la fois d’Israël, de l’Iran et de l’Egypte, elle était aussi un membre clé de l’Otan, un point d’appui stratégique. Depuis, ses alliances ont changé : rupture avec Israël, soutien affirmé aux Frères musulmans partout où ils se trouvent et, désormais, partie prenante des conflits en cours. Elle se déclare l’ennemi de Daesh, mais se garde d’intervenir et, au contraire, laisse passer les jihadistes européens qui rejoignent les rangs de ce groupe terroriste. Cette complaisance vis-à-vis de Daesh s’explique par les deux objectifs de la diplomatie turque aujourd’hui : la chute de Bachar al-Assad au titre du front sunnite anti-chiite et la réduction des Kurdes de Syrie. Les Kurdes, voilà l’ennemi ! Erdogan, comme ses prédécesseurs, considère qu’il lui faut à tout prix éviter que les Kurdes de tous les pays (Irak, Iran, Syrie et Turquie) puissent s’unir et former à leur tour un Etat.

Sur le plan intérieur, le président Erdogan s’est aussi dévoilé en instaurant un régime de plus en plus éloigné de l’Etat de droit. En témoigne le fait que la Turquie soit aujourd’hui l’un des pays qui comptent le plus de journalistes emprisonnés ! La mise en place de cet autoritarisme, pourtant validé par les urnes, avait débuté par la mise au pas de l’armée, privée de ses éléments laïcs.

A l’extérieur, il cherche, par une forme de néo-impérialisme, à masquer des difficultés intérieures de plus en plus évidentes. Son ambition est sans doute de contribuer au pourrissement de la situation en Syrie afin, le moment venu, d’exercer une tutelle suffisante sur le territoire des Kurdes de Syrie. Cette ambition était, au moment du Printemps arabe, de servir de modèle à ceux qui voudraient se réclamer d’un islam de gouvernement, ce­lui qu’Erdogan veut incarner. Mais les difficultés économiques sont de plus en plus visibles. A la différence de la Russie de Vladimir Poutine, la Turquie n’a nul gisement de pétrole ou de gaz pour se mettre à l’abri et pour financer un effort militaire. Elle a au contraire besoin d’une économie ouverte. Le ralentissement de la croissance ne la met pas à l’abri de nouvelles manifestations qui ajouteraient une protestation sociale à la mobilisation politique de ceux qui lui reprochent son inaction à la frontière syrienne.

De tout cela, il résulte que les adversaires de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne avaient de bonnes raisons de se méfier. On peut dire aussi que les tergiversations européennes ont contribué à faire perdre du terrain à la partie non négligeable de l’opinion turque qui aspirait à une modernité laïque. On peut enfin constater qu’Erdogan fait tout pour nous conforter dans l’idée que sa «Nouvelle Turquie» cherche désormais son destin ailleurs qu’en Europe, préférant tirer un jour partie du chaos sanglant qui frappe le Proche-Orient

 

Jean-Marie Colombani

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