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Europe : vers une japonisation ?, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

Tandis que l’économie américaine franchit de nouveaux sommets, l’économie européenne tarde, stagne, doute de nouveau. Sommes-nous menacés collectivement d’une «japonisation», c’est-à-dire de l’entrée dans une période longue de stagnation et de déprime ?

J’ai toujours été hanté par cette idée sur la base d’une analogie simple, et sans doute caricaturale. Il faut remonter, pour le comprendre, à un voyage officiel au Japon de George Bush père, alors président des Etats-Unis. Au milieu du dîner officiel, alors que, debout, il portait un toast, il s’était effondré. C’était, à travers cet incident, l’image même de la peur qui avait saisi les milieux d’affaires américains face à l’irrésistible poussée commerciale du Japon. C’était l’année où Sony s’était porté à l’assaut de l’un des plus grands studios de Hollywood. Pour ne pas parler de toutes les percées technologiques japonaises.

La réponse américaine s’était ordonnée autour d’une vraie guerre commerciale, dont l’arme principale avait été une politique du dollar faible, face à un yen dont on annonçait qu’il pourrait un jour menacer la suprématie du dollar. Le résultat a été l’entrée du Japon dans cette longue période de stagnation dont il ne parvient pas à sortir, malgré une politique plus nationaliste mais qui ne prend pas le chemin du succès. Certes, des facteurs strictement japonais ont joué : faiblesse du système financier, recul de la capacité d’innovation… Mais les Etats-Unis ont utilisé toutes leurs armes commerciales et monétaires pour se redonner un avantage vis-à-vis du Japon.

Une même agressivité américaine a été déployée aux dépens de l’Europe par les milieux financiers. On a retrouvé une politique du dollar faible vis-à-vis de l’euro et une pression infernale, qui a failli réussir, contre l’euro dont on annonçait la mort avec, pour finir, cet incroyable tour de passe-passe qui a abouti au transfert de la crise financière d’une rive à l’autre de l’Atlantique. Cette crise, strictement liée au fonctionnement de la finance américaine, est devenue celle des dettes souveraines des pays de l’Union européenne ! Et nous voilà au seuil d’une possible japonisation… Il y a bien sûr dans le marasme qui nous menace des causes strictement européennes. L’absence de confiance qui – effet pervers de la crise ukrainienne – atteint aussi l’Allemagne, laquelle s’installe dans la peur d’un conflit majeur au cœur de l’Europe. Un système bancaire qui a cessé de soutenir l’économie et il faudra du temps pour que les marchés financiers prennent le relais. Et des réformes de structure qui se font attendre.

On ne peut qu’encourager l’Italie et la France à poursuivre leurs efforts pour réorienter la Commission européenne vers des objectifs de croissance soutenue. Nous avons deux atouts : Mario Draghi qui, à la tête de la Banque centrale européenne, cherche à mettre la politique monétaire au service de la croissance, et Jean-Claude Junker, futur président de la Commission, qui, dans son discours devant le Parlement européen, a évoqué la nécessité d’un plan d’infrastructures et d’investissements de 300 milliards d’euros.

Toutes les périodes «organiques», comme disent les économistes, ont été structurées par de grands investissements, en particulier dans les infrastructures. Tout en sachant que l’essentiel est, par tous ces moyens, de retrouver confiance et détermination. Cela ne signifie pas qu’il faut avoir, vis-à-vis des Etats-Unis, une attitude négative. Bien au contraire. Il faut, notamment à travers la négociation d’un nouveau traité de libre-échange transatlantique, retrouver avec eux le chemin d’un deal «gagnant-gagnant». Car, face à la multiplication des dangers et des conflits qui se développent sous nos yeux, les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à une Europe faible. 

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