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Les sphères d'influence en Europe, question toujours brûlante

Le président russe Vladimir Poutine au Palais de Livadia en Crimée le 14 août 2014 [Alexander Zemlianichenko / Pool/AFP/Archives] Le président russe Vladimir Poutine au Palais de Livadia en Crimée le 14 août 2014 [Alexander Zemlianichenko / Pool/AFP/Archives]

A l'occasion de la crise ukrainienne, l'Occident et la Russie s'accusent mutuellement d'expansionnisme en Europe, un thème aux résonnances historiques profondes 75 ans après la signature du pacte germano-soviétique par lequel les deux puissances se partageaient alors une partie du continent.

Le 23 août 1939, le ministre soviétique des Affaires étrangères Viatcheslav Molotov et son homologue allemand Joachim von Ribbentrop signaient un pacte de non agression. Le document contenait une clause secrète prévoyant le partage de l'Europe de l'Est entre les deux signataires.

Deux semaines après la signature du pacte, Hitler lançait ses troupes contre la Pologne, suscitant l'entrée en guerre de la France et de la Grande-Bretagne. L'URSS attaquait l'est de la Pologne le 17 septembre.

La question des sphères d'influences supposées des uns et des autres en Europe revient au premier plan, avec le bras de fer engagée entre l'Occident et la Russie sur le destin de l'Ukraine.

Pour Susanna Hast, chercheuse à l'Institut des hautes études internationales et du développement à Genève, "il existe de facto des sphères d'influence" de par la disproportion des forces entre les grandes puissances et leurs plus faibles voisins. "Il est important de savoir de quel type d'influence on parle" ajoute-t-elle.

La propagation des idéaux démocratiques est ainsi un des principaux objectifs mis en avant par l'Union Européenne au travers de sa politique dite "de voisinage", qui propose des accords d'association aux pays non membre de l'UE entreprenant des réformes démocratiques et anti-corruption.

La crise ukrainienne a précisément éclaté après que l'Union Européenne ait proposé un accord commercial à l'Ukraine et plusieurs autres Etats de la CEI.

Le président ukrainien d'alors Victor Ianoukovitch a refusé l'accord en novembre dernier, lui préférant une aide financière de la Russie de 15 milliards de dollars. Les protestations qui s'ensuivirent provoquèrent sa chute en février, et l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement pro-européen.

Les autorités russes ont réagi au changement de cap ukrainien en y voyant une menace pour leurs intérêts dans ce qu'il est convenu d'appeler "l'étranger proche", les voisins immédiats de la Russie et ses anciens vassaux de fait à l'époque soviétique.

"Les dirigeants russes n'ont pas besoin de consolider leur zone d'influence, à moins qu'une autre puissance n'exerce son influence dans la région", affirme Susanna Hast.

- 'Echiquier géopolitique' -

Dès février dernier, le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov faisait le procès de l'Union européenne, estimant que "mettre la pression sur l'Ukraine en lui disant que c'est soit l'UE, soit la Russie, c'est tenter de créer une sphère d'influence".

Son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier a rétorqué que "l'Ukraine n'est pas un échiquier géopolitique". Cependant, il semblerait que c'est exactement de cette manière que Moscou voit les choses.

Vladimir Poutine a justifié l'annexion de la Crimée en mars dernier par son passé russe et sa population majoritairement russe, mais également en arguant que la base navale de Sébastopol ne devait pas tomber aux mains de l'OTAN, après le changement de régime à Kiev.

"L'OTAN demeure une alliance militaire, et nous ne souhaitons pas voir une alliance militaire s'installer dans notre arrière-cour, ni sur notre territoire historique" a déclaré le président russe lors de son discours du 18 mars célébrant le rattachement de la Crimée.

- 'Protéger les russophones' -

Au cours du même discours, Vladimir Poutine a exhorté les nouvelles autorités ukrainiennes à protéger les intérêts des russophones d'Ukraine, prévenant que la sécurité de ces populations était "une garantie de stabilité et d'intégrité territoriale pour l'Ukraine".

Cela fait maintenant quatre mois que les séparatistes prorusses combattent l'armée ukrainienne dans l'Est à majorité russophone de l'Ukraine. Kiev accuse Moscou de fournir en armes les insurgés.

Moscou dément un tel soutien, mais la Russie revendique un devoir humanitaire à l'égard des populations de l'Est ukrainien, reprenant un argument invoqué à de nombreuses reprises par les Etats-Unis pour justifier des interventions à l'étranger ... alors condamnées par Moscou.

Le président russe Vladimir Poutine (à d) serre la main de l'ex-Premier ministre ukrainien Viktor Yanukovich à Kertch en Crimée le 12 novembre 2004 [Alexey Panov / Itar-Tass/AFP/Archives]
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Le président russe Vladimir Poutine (à d) serre la main de l'ex-Premier ministre ukrainien Viktor Yanukovich à Kertch en Crimée le 12 novembre 2004

"Après avoir accusé les Etats-Unis de mener une politique de deux poids deux mesures, les Russes ont eux-mêmes glissé vers un mode de fonctionnement interventionniste, d'abord en Ossétie du Sud (région séparatiste de Georgie), et maintenant avec la Crimée et l'est de l'Ukraine", estime Susanna Hast.

Mais pour Dmitri Trenine, directeur du Centre Carnegie de Moscou, l'enjeu du bras de fer dépasse désormais la sphère d'influence russe à l'étranger, depuis les sanctions économiques sans précédent adoptées par l'Occident contre Moscou.

"Le Kremlin pense que le but des Etats-Unis n'est plus vraiment le court-circuitage de la Russie dans le Donbass ou même le retour de la Crimée à l'Ukraine, mais bien le renversement du régime de Poutine, en suscitant pour cela marasme économique et mécontentement populaire" affirme-t-il. "Ce n'est désormais plus une lutte pour l'Ukraine, mais une bataille de Russie".

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