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Irak: l'économie et la culture de Mossoul ploient sous le joug jihadiste

Des jihadistes de l'EIIL tiennent un point de contrôle à l'entrée de Mossoul, le 16 juin 2014  [Karim Sahib / AFP/Archives] Des jihadistes de l'EIIL tiennent un point de contrôle à l'entrée de Mossoul, le 16 juin 2014 [Karim Sahib / AFP/Archives]

La population sunnite de Mossoul a trouvé un répit appréciable après la prise de sa ville par les jihadistes et la fuite des policiers irakiens chiites décriés pour leurs exactions. Mais sept semaines plus tard, le coût économique et culturel commence à se faire sentir.

Quelque 500.000 personnes essentiellement chiites, soit un quart de la population de la deuxième ville du pays, ont fui l'arrivée des extrémistes sunnites le 10 juin et les bombardements de l'armée qui ont suivi.

Mais certains sont revenus, et ont pu constater, comme ceux qui étaient restés, que les attentats, les fusillades et les enlèvements qui faisaient auparavant trembler la ville avaient cessé. Tout comme le harcèlement par les forces de sécurité, dont se plaignaient les sunnites.

Les nombreuses rues fermées ont été rouvertes et les postes de contrôle levés, délivrant Mossoul de ses embouteillages.

"Quand l'armée est partie et que les insurgés sont arrivés, nous avons respiré pour la première fois", assure Mohammed Azhar, un commerçant de 32 ans.

Mais depuis, les habitants goûtent aussi à la part d'ombre de la vie dans le nouveau "califat" proclamé par l'EI sur les vastes pans de territoire qu'il contrôle désormais en Irak et en Syrie.

La ville cosmopolite a vu partir ses milliers de chrétiens, ainsi que d'autres minorités présentes depuis des générations mais désormais menacés de mort.

Une chrétienne irakienne qui a fui les violences des villes Qaraqush et Bartala, à l'est de Mossoul, embrasse une statue de sainte chrétienne le 27 juin 2014 dans la région kurde autonome d'Erbil [Karim Sahib / AFP/Archives]
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Une chrétienne irakienne qui a fui les violences des villes Qaraqush et Bartala, à l'est de Mossoul, embrasse une statue de sainte chrétienne le 27 juin 2014 dans la région kurde autonome d'Erbil

Pour les autres, au quotidien, le carburant se fait rare, les coupures d'électricité sont récurrentes, les produits importés comme les médicaments sont introuvables et les articles qui vont à l'encontre de la version radicale de l'islam prônée par l'EI disparaissent des vitrines.

Et de nouvelles règles apparaissent: "les jeans sont interdits, toute forme de mode est interdite. Les T-shirts présentant des chiffres ou des lettres sont interdits. Les femmes doivent se couvrir la tête, et il faut s'habiller de sombre", énumère un fonctionnaire sous le couvert de l'anonymat.

L'application des règles semble cependant progressive. Aucune information confirmée n'a fait état d'exécutions publiques comme celles pratiquées par l'EI dans ses bastions syriens pour des infractions apparemment mineures.

Vêtus de noir, les jihadistes patrouillent par petits groupes, à pied ou dans des véhicules pris dans le stock abandonné dans leur fuite par les forces de l'ordre, et désormais frappés d'un logo "Police islamique".

- 'Tués à l'intérieur' -

Jouer aux cartes ou aux dominos est interdit, de même que le narguilé, selon le fonctionnaire. Fumer est tout aussi interdit, mais plusieurs sources assurent que cette règle n'est pas appliquée strictement, même si les livraisons de tabac sont bloquées.

Capture d'écran à partir d'une vidéo téléchargée sur Youtube du 23 août 2013 et montrant un membre d'un groupe jihadiste affilié à l'EEIL (Etat islamique en Irak et au Levant) [ / YouTube/AFP/Archives]
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Capture d'écran à partir d'une vidéo téléchargée sur Youtube du 23 août 2013 et montrant un membre d'un groupe jihadiste affilié à l'EEIL (Etat islamique en Irak et au Levant)

Pour certains commerçants, c'est la ruine. Vendeur de vêtements pour femmes, Zayed Mahmoud, 30 ans, s'est vu prié de se débarrasser rapidement de sa marchandise, qu'il a dû brader à perte.

"J'ai perdu environ 30.000 dollars", estime-t-il. Et l'avenir est sombre: il n'a plus le droit de vendre que d'amples abayas.

Elles n'ont aucun succès, d'autant que l'heure est aux économies. Les habitants les plus aisés sont partis, les fonctionnaires n'ont pas été payés et l'insécurité sur les routes a ralenti l'activité de cette ville qui a longtemps été une plate-forme commerciale entre la Turquie, la Syrie et le reste du pays.

Les ventes de fruits et légumes connaissent cependant une forte hausse. "C'est grâce à la chute des prix, parce qu'en l'absence de carburant et d'électricité, les vendeurs ne peuvent plus stocker leurs produits", explique l'un d'eux, Abou Ali.

Au-delà de ces désagréments, l'EI a surtout attaqué l'identité de la ville, désormais privée d'une grande partie de ses minorités et de son héritage spirituel et culturel.

Les insurgés sunnites s'en sont particulièrement pris aux chiites, qu'ils considèrent comme des hérétiques. Selon des responsables sunnites et chiites, des dizaines de salles de prière et de mausolées chiites ont été détruits ou saccagés dans toute la province.

Ces sanctuaires souvent richement décorés, comme ceux liés à des figures déjà présentes dans la tradition biblique comme Seth (troisième fils d'Adam et Eve) et Jonas, faisaient la fierté de la ville.

Leur destruction a été vivement critiquée à l'étranger, mais elle a surtout blessé les habitants.

"Cela nous a fait vraiment mal, comme l'expulsion des chrétiens", explique le fonctionnaire. "J'ai l'impression qu'ils ont tué la ville. C'est fini, le pays est fini et la ville n'a plus de valeur. C'est difficile à décrire. C'est comme s'ils nous avaient tués à l'intérieur".

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