En direct
A suivre

Japon : de futurs défunts choisissent leurs "voisins de l'au-delà"

Ryukai Matsushima, prêtre boudhiste fils du fondateur du club  "Moyainokai", le 4 juin 2014, à Tokyo [Kazuhiro Nogi / AFP/Archives] Ryukai Matsushima, prêtre boudhiste fils du fondateur du club "Moyainokai", le 4 juin 2014, à Tokyo [Kazuhiro Nogi / AFP/Archives]

Plutôt que d'entretenir une coûteuse tombe familiale pour un jour s'y retrouver dans un face à face éternel, certains Japonais préfèrent de leur vivant entretenir... des relations avec des inconnus qu'ils ont choisis comme futurs "voisins de l'au-delà".

 

Avoir des "camarades de cimetière", vivre l'éternité collectivement, c'est le choix que, avec son mari, Kumiko Kano, une souriante septuagénaire de Tokyo, a fait il y a une dizaine d'années.

"Quand mon époux a vu l'argent que son frère aîné engloutissait pour les pierres tombales familiales, on a décidé ensemble qu'on n'avait pas besoin de ça, et qu'on ne voulait pas faire supporter une telle charge à nos enfants", dit-elle à l'AFP dans le cimetière de Sugamo, dans le nord-est de la capitale.

Dans le shintoïsme ou le bouddhisme, les générations successives ont le devoir de s'occuper de leurs ancêtres défunts. Dans des autels domestiques, des photographies des disparus regardent les vivants, reçoivent leurs prières et des offrandes sous forme de fruits, d'alcool ou cigarettes en échange de leur protection depuis l'au-delà.

Leurs dépouilles corporelles sont incinérées et les cendres conservées dans des tombes construites et entretenues à grand frais. Chacune accueille à chaque génération le fils aîné et sa famille. Les filles sont enterrées avec leurs époux et les cadets doivent établir leur propre tombe.

Les mains jointes, Kumiko se recueille non devant une stèle individuelle mais face à un long mur de marbre gris foncé brillant sur lequel sont gravés des milliers de noms: c'est la tombe collective où son mari repose depuis 2008, avec 3.000 "voisins". Et il y a de la place pour 6.000 défunts.

Les caractères de son nom à elle y figurent déjà, mais pour l'instant en rouge. Ils seront grattés pour virer au noir quand elle "intègrera le mur".

Mais pour l'instant, Kumiko est bien vivante et ravie: jamais elle n'éprouve ce dérangeant remords qui prend parfois les gens quand ils n'entretiennent par la tombe de l'être aimé.

"Il m’arrive de ne pas pouvoir venir pendant quelques temps. Je culpabilise un peu, mais je suis toujours rassurée quand j’arrive ici, parce qu’il y a toujours beaucoup de fleurs. C’est lumineux".

Et de temps en temps Kumiko se retrouve avec un groupe de personnes qui toutes ont décidé de passer l'éternité ensemble et dans un endroit précis, prévu, réservé.

Car avant le grand voyage, ces gens vont devoir apprendre à se connaître, s'apprécier peut-être pour, en sont-ils persuadés, mieux vivre la mort ensemble.

Et pour ça, ils se retrouvent au sein d'un club étonnant, le "Moyainokai", littéralement "travailler ensemble", qui organise des excursions à la campagne ou des sessions de lectures en groupe.

L'idée du Moyainokai remonte à environ 25 ans et a été imaginée par un prêtre bouddhiste "pour les gens qui sont préoccupés par leurs funérailles parce qu'ils n'ont soit pas d'enfants soit pas de famille".

Kumiko Kano, 74 ans, répond à une interview près du monument funéraire du club "Moyainokai", à Tokyo, le 4 juin 2014 [Kazuhiro Nogi / AFP]
Photo
ci-dessus
Kumiko Kano, 74 ans, répond à une interview près du monument funéraire du club "Moyainokai", à Tokyo, le 4 juin 2014

Son fils Ryukai Matsushima a repris le flambeau. L'objectif du club, explique-t-il, est de "créer des liens qui ne soient pas basés sur le sang".

"C'est injuste qu'il y ait des gens dont personne ne s'occupe après la mort juste parce qu'ils avaient fait le choix de vivre seuls", dit-il, en glissant le curseur de la souris sur un écran d'ordinateur vertical et enchâssé dans du marbre dans le cimetière: il contient la liste de tous les "locataires" du mur, et ceux dont on n'a pas pu y graver le nom faute de place.

 

- Faire tombe à part -

 

Grâce à une carte, le parent survivant peut faire apparaître le nom du défunt sur l'écran et ainsi se recueillir.

Au Japon, on vit vieux, très vieux même parfois, et du coup certains ne sont parfois pas emballés à l'idée de prolonger une longue vie de couple dans un face à face tombal sans fin.

Syohei Maekawa, un tour opérateur qui s'est spécialisé dans la visite de lieux de repos éternel, confirme ainsi que certaines dames ne sont pas ravies à l'idée de la mort à deux avec leur "cher" époux.

"Ne le répétez surtout pas mais je ne veux pas être enterrée avec mon mari!". Cette étrange confession, Syoihei l'a entendue plusieurs fois de clientes qui envisagent sérieusement de faire... tombe à part.

Au Japon, on vit vieux, très vieux même parfois, et du coup certains ne sont parfois pas emballés à l'idée de prolonger une longue vie de couple dans un face à face tombal sans fin [Kazuhiro Nogi / AFP]
Photo
ci-dessus
Au Japon, on vit vieux, très vieux même parfois, et du coup certains ne sont parfois pas emballés à l'idée de prolonger une longue vie de couple dans un face à face tombal sans fin

"Ce n'est pas forcément parce qu'elles avaient ou ont de mauvaises relations avec leurs maris, mais simplement parce qu'elles ont envie de pouvoir enfin avoir des choses par elles-mêmes", estime pour sa part Haruyo Inoue, une sociologue de l'université Toyo.

Et quand elle ne tente pas de sonder le coeur des futurs défunts, elle s'occupe d'une Ong dont le seul but est de procurer des tombes sous les arbres.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités