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En Birmanie, controverse autour des mariages interreligieux

Un couple de Birmans traverse la rue devant une pagode à Rangoun, le 17 juin 2014 [Soe Than Win / AFP/Archives] Un couple de Birmans traverse la rue devant une pagode à Rangoun, le 17 juin 2014 [Soe Than Win / AFP/Archives]

Les projets de moines bouddhistes radicaux de criminaliser les mariages interreligieux en Birmanie font polémique dans un pays où la question de l'identité religieuse est explosive.

La situation inquiète la communauté internationale et porte une ombre au tableau des réformes lancées depuis la dissolution de la junte en 2011.

Les discours de haine ont proliféré sur internet et Facebook a été inondé de messages appelant à "gifler ces filles" ayant épousé un musulman ou les traitant de "putes".

Exploitant la peur liée à plusieurs vagues de violences entre bouddhistes et musulmans, des nationalistes bouddhistes crient haut et fort que la principale religion du pays est menacée.

Pour "protéger" le bouddhisme, religion de plus de 80% de la population, des moines extrémistes ont déjà appelé au boycott des entreprises "musulmanes".

Ils ont également mis en garde contre le danger que les hommes musulmans représenteraient pour les Birmanes bouddhistes. Une tactique "calibrée pour avoir un impact émotionnel", a commenté Nicholas Farrelly, chercheur à l'Université nationale australienne.

"Ces appels contribuent à créer une atmosphère de crise qui radicalise ceux qui en temps normal seraient relativement indifférents aux autres religions", a-t-il ajouté.

Dans la foulée, une frange radicale du clergé bouddhiste a proposé de légiférer sur le mariage, la polygamie ou encore les conversions, propositions que le président Thein Sein a demandé au Parlement d'examiner.

La Birmanie est dominée par l'ethnie bamar, bouddhiste. Mais l'ancienne colonie britannique compte également environ 4% de chrétiens et entre 4 et 10% de musulmans.

Un couple de Birmans traverse la rue devant une église à Rangoun, le 17 juin 2014 [Soe Than Win / AFP/Archives]
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Un couple de Birmans traverse la rue devant une église à Rangoun, le 17 juin 2014

En 2012, des violences entre bouddhistes de la minorité rakhine et des Rohingyas musulmans avaient secoué l'ouest du pays. Plus de 200 personnes avaient été tuées et 140.000 déplacées, en grande majorité des Rohingyas, minorité apatride persécutée déjà soumise à des restrictions au mariage et à deux enfants maximum par femme.

Des émeutes anti-musulmans s'étaient ensuite propagées dans plusieurs régions du pays, mettant en lumière des haines largement enfouies pendant près d'un demi-siècle de dictature militaire.

"Pour des millions de personnes, c'est une période inquiétante, incertaine. L'Histoire nous dit que c'est un moment opportun pour l'émergence de mouvements sociaux réactionnaires", a souligné Farrelly.

- Protéger les femmes ? -

Les propositions émanent d'un groupe de 200 moines appelé "Mabatha", ou Comité pour la protection de la nationalité et de la religion.

Mais pour l'instant, seul le projet sur les conversions a été publié. Selon le texte, les Birmans voulant changer de religion devraient obtenir l'autorisation préalable d'une autorité locale spécialement créée.

Cette loi "n'a pas sa place au XXIe siècle", a dénoncé la Commission américaine sur la liberté de religion internationale, estimant que l'ensemble de ces propositions risquaient de provoquer violences et discriminations.

Selon l'ONG Human Rights Watch, une version du projet sur le mariage interreligieux stipule qu'un non bouddhiste risquerait dix ans de prison s'il épousait une bouddhiste sans se convertir.

Un couple de Birmans dans un parc à Rangoun, le 17 juin 2014 [Soe Than Win / AFP/Archives]
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Un couple de Birmans dans un parc à Rangoun, le 17 juin 2014

Le mariage ne pourrait pas non plus avoir lieu sans l'autorisation écrite des parents de la mariée.

"Je pense vraiment que cette loi peut protéger les Birmanes bouddhistes", a assuré à l'AFP le moine Sopaka, leader de Mabatha, assurant que cela permettrait de limiter la violence. Les unions interreligieuses seraient à l'origine de viols, meurtres et autres conversions forcées, selon le groupe.

Une centaine de groupes de défense des droits des femmes ont en mai accusé ces propositions de priver les Birmanes de leur droit à "penser rationnellement et à prendre des décisions" les concernant.

Beaucoup sont depuis l'objet d'appels anonymes ou de messages de menaces.

"Nous estimons que la nationalité et la religion ne sont pas des choses qu'il faut protéger par la loi", a expliqué à l'AFP May Sabe Phyu, du Réseau pour l'égalité des genres.

Pour elle comme pour beaucoup d'autres, cette montée du nationalisme bouddhiste vise à mettre en difficulté la chef de l'opposition Aung San Suu Kyi à l'approche des législatives clé de 2015.

La lauréate du prix Nobel de la paix, l'une des seules femmes à siéger au Parlement, s'est opposée à la loi sur les mariages interreligieux, mais a été critiquée pour n'avoir pas dit grand chose contre l'intolérance religieuse.

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