En direct
A suivre

En Turquie, les Arméniens "cachés" à la découverte de leur passé

A Istanbul, le 24 avril 2013, des oeillets rouges déposés sur la date anniversaire du génocide arménien de 1915, dont l'existence est reconnue par de nombreux pays, mais pas par la Turquie   [Ozan Kose / AFP/Archives] A Istanbul, le 24 avril 2013, des oeillets rouges déposés sur la date anniversaire du génocide arménien de 1915, dont l'existence est reconnue par de nombreux pays, mais pas par la Turquie [Ozan Kose / AFP/Archives]

Les Ottomans les appelaient les "restes de l'épée". Cent ans après les massacres de 1915, de plus en plus de Turcs d'origine arménienne, fils et filles de ceux qui se sont convertis pour survivre, redécouvrent leur identité et osent l'assumer au grand jour.

Berkin est l'un de ces Arméniens "cachés". En ce jour de Pâques, le jeune homme de 17 ans a rejoint l'église Surp Vorodman, dans le quartier stambouliote de Kumkapi. Avec des dizaines d'autres fidèles de cette paroisse du patriarcat arménien de la plus grande ville de Turquie, il est venu prier. Naturellement.

Élevé en bon Turc dans la religion musulmane, Berkin vient à peine de découvrir ses origines chrétiennes. Par hasard, car jamais ses parents ne lui avaient confié ce "grand secret". Au début du XXe siècle, sa famille était arménienne.

"Quand ma grand-mère parlait à la maison, je tendais l'oreille. Car ce n'était ni du turc, ni du kurde. Mon grand-père c'était pareil", raconte le jeune lycéen. "Du coup, j'ai commencé à faire des recherches. Et c'est comme ça que j'ai appris que mon arrière-grand-père était un rescapé de 1915".

Le 24 avril de cette année-là, l'Empire ottoman donne le coup d'envoi de premier génocide du XXe siècle. En moins d'un an, des centaines de milliers d'Arméniens sont déportés, nombre d'entre eux tués, la plupart de leurs biens confisqués.

Bientôt cent ans plus tard, ces événements restent un tabou, que les autorités de Turquie refusent vigoureusement de qualifier de génocide.

Comme le grand-père de Berkin, des dizaines de milliers d'Arméniens se sont convertis à l'islam pour échapper aux tueries et ont enfoui leur identité au plus profond de leur mémoire. Pendant des décennies, le discours officiel turc, qui exalte un seul peuple, musulman et sunnite, a fait de ces "dönme", ces "convertis", des clandestins.

"J'étudie dans un lycée traditionnel. On nous désigne toujours comme l'ennemi", regrette Berkin, "on se dispute beaucoup pendant les cours d'histoire parce que nous leur disons que nous ne sommes pas des traîtres".

Pourtant, depuis quelques années, la chape de plomb qui recouvre cette page d'histoire a commencé à se fissurer. Et le passé des Arméniens de Turquie à ressurgir.

- "Connaître la vérité" -

Bien sûr, le mouvement est lent, difficile. De nombreux membres de cette communauté, qui se compterait aujourd'hui en millions en Turquie, selon les historiens, répugnent encore à s'afficher. Mais d'autres, comme Berkin, ont franchi le pas.

"Ce jeune a compris, il sait quel sang coule dans ses veines, il a compris les événements du passé", se réjouit Diane Hekibashyan, qui fréquente la même église d'Istanbul. "Il sait que nous ne demandons pas grand chose, que nous ne voulons que la paix".

Entre autres signes de cette prudente renaissance, le succès des cours d'arménien. Comme celui animé par Talar Silelyan, qui réunit chaque semaine une dizaine de personnes à la recherche de leur identité cachée, comme elle.

"Ceux qui ont appris sur le tard qu'ils étaient arméniens commencent d'abord par apprendre l'arménien", explique cette jeune ingénieur de formation.

"Auparavant, nous avions peur de parler de ça, mais maintenant, nous sommes plus courageux, on peut évoquer certaines choses", ajoute Talar Silelyan, "et de l'autre côté, certains Turcs sont prêts à en parler aussi, des gens veulent connaître la vérité".

Officiellement, la position des autorités turques n'a pas changé. Le mot de "génocide" reste prohibé et source de fortes tensions diplomatiques.

Mais, sous la pression de certains intellectuels notamment, le vocabulaire change, pas à pas. En décembre, le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu a parlé des déportations d'Arméniens comme d'une "erreur", d'un "acte inhumain".

"Enfin, nous pouvons célébrer nos fêtes ensemble, dans nos églises", se réjouit de son côté Tuma Özdemir, le président de l'association des chrétiens d'Orient.

Mais la parole des Arméniens de Turquie est encore loin d'être libre. Et l'approche du centenaire des événements de 1915 fait craindre de nouvelles tensions.

"On n'exige pas de grosses réparations pour ce qui s'est passé, on veut simplement qu'ils (les Turcs) le reconnaissent", assure Berkin. "Nous n'avons pas disparu, nous sommes ici, l'empreinte de nos ancêtres est là et nous revendiquons nos origines".

Même contre l'avis de ses parents, le jeune homme est déterminé à parachever son retour aux sources. Une fois majeur, il deviendra chrétien. Comme son arrière grand-père. "Pour transmettre ma culture à mes enfants", promet-il.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités