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Torturés sous la dictature portugaise, ils témoignent contre l'oubli

Photo prise le 27 avril 1974 à Lisbonne de la foule et des militaires amassés devant la caserne de la garde républicaine où le Premier ministre Marcello Caetano, qui avait succédé en 1968 au général Salazar, a trouvé refuge pendant la Révolution des Oeillets avant de remettre le pouvoir au général Spinola. [ / AFP/Archives] Photo prise le 27 avril 1974 à Lisbonne de la foule et des militaires amassés devant la caserne de la garde républicaine où le Premier ministre Marcello Caetano, qui avait succédé en 1968 au général Salazar, a trouvé refuge pendant la Révolution des Oeillets avant de remettre le pouvoir au général Spinola. [ / AFP/Archives]

Privée de sommeil pendant 16 jours d'affilée et battue jusqu'à en perdre connaissance, Aurora Rodrigues a mis 36 ans à briser le silence sur sa souffrance, et refuse de passer l'éponge sur les crimes de la dictature qui a opprimé le Portugal de 1926 à 1974.

Le pays célèbre vendredi le 40e anniversaire de la Révolution des Oeillets, mais "tout est encore très vif" pour cette ancienne prisonnière politique, qui n'arrive toujours pas à mettre la tête sous l'eau en raison des simulations de noyade dont elle a été victime en 1973.

"Aucun apaisement n'est possible tant que les bourreaux n'auront pas été mis face à leurs responsabilités", dit à l'AFP cette femme menue de 62 ans, assise à une terrasse de la vieille ville d'Evora, dans le sud-est du pays.

Hantée par un cauchemar récurrent, elle a fini par faire appel à un psychiatre, qui l'a encouragée à écrire un livre racontant son calvaire et visiter la prison où elle a été torturée à l'âge de 21 ans, pour avoir participé à une manifestation d'étudiants opposés au régime.

Avant cette thérapie commencée en 2009, "je n'avais jamais exprimé les sentiments et la peur que j'ai connus sous la torture", raconte cette magistrate du parquet d'Evora, en remuant sa cuillère dans une tasse à café déjà vide.

- "Blanchiment" -

"L'ambiance vécue après la révolution a découragé les prisonniers politiques de prendre la parole", dit avec amertume l'ancienne militante antifasciste de la mouvance maoïste, qui n'hésite pas à dénoncer un "blanchiment" des atrocités commises par la police politique, la PIDE.

"Dès que la page de la dictature a été tournée, il y a eu une volonté d'effacer ses aspects les plus négatifs, tels que la torture et la guerre coloniale" contre laquelle se sont soulevés les putschistes du 25 avril 1974, confirme son psychiatre, Afonso de Albuquerque.

Photo prise le 27 avril 1974 à Lisbonne, de civils et militaires manifestant leur joie lors de la Révolution des Oeillets.  [ / AFP/Archives]
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Photo prise le 27 avril 1974 à Lisbonne, de civils et militaires manifestant leur joie lors de la Révolution des Oeillets.

Il estime que 10 à 20% des quelque 30.000 personnes incarcérées par le régime ont souffert de troubles de stress post-traumatique. La PIDE est en outre responsable de la mort de près d'une cinquantaine de dissidents, sans compter ceux des anciennes colonies africaines, selon des données fournies par l'historienne Irene Pimentel.

"Le pays a d'abord connu une période de diabolisation de la dictature, suivie d'un processus d'apaisement mené au nom de la démocratie", explique-t-elle. "Contrairement à la Grèce, par exemple, au Portugal les victimes n'ont pas porté plainte", précise l'historienne.

D'après ses recherches, 2.755 policiers ou informateurs de la PIDE ont été jugés par des tribunaux militaires: 68% d'entre eux ont été condamnés à des peines inférieures à six mois et seulement 2% à des peines supérieures à deux ans.

- Hallucinations -

C'est ainsi que Fernando Vicente a eu l'occasion de témoigner devant la justice contre son tortionnaire, mais celui-ci a été relâché "pour preuves insuffisantes".

"La révolution n'a pas été assez dure à cet égard, mais il a fallu faire des concessions" à une période où le pays risquait de sombrer dans la guerre civile, se souvient cet ancien responsable du Parti communiste.

Ayant résisté sans dormir pendant 33 jours avec seulement deux interruptions de 24 heures, cet homme de 72 ans à l'allure imposante détient le sinistre record de la plus longue torture du sommeil, technique dont la police portugaise s'était fait une spécialité.

Aurora Rodrigues et Fernando Vicente n'ont pas parlé sous la torture. Pourtant, selon le docteur Afonso de Albuquerque, "la majorité des détenus cédait après quatre ou cinq nuits sans dormir", quand les hallucinations provoquées par le manque de sommeil les plongeaient dans un état de terreur et d'extrême fragilité.

En 2005, Fernando Vicente a participé à la création de l'association "N'effacez pas la mémoire" qui a tenté, en vain, d'éviter que l'ancien siège de la PIDE ne soit transformé en appartements de luxe.

Depuis, la mairie de Lisbonne a décidé la création d'un musée de la résistance dans l'ancienne prison de l'Aljube, située également au coeur de la capitale, dont l'inauguration doit être annoncée prochainement.

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