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La Chine, géant en trompe l’œil, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

Le président chinois Xi Jinping vient d’achever une tournée en Europe. Coïncidence du calendrier : celle-ci est intervenue au même moment que la visite du président Obama à La Haye, Bruxelles et Rome. Le président américain marquant ainsi, à la faveur de la crise ukrainienne, un recentrage salutaire de sa stratégie géopolitique vers l’Europe. Elle était jusqu’alors presque exclusivement dominée par le face-à-face avec la Chine.

En France, le président chinois a signé pour 18 milliards d’euros de contrats en même temps qu’il a annoncé que les banques françaises pourraient désormais assurer des transactions en yuans. L’ampleur de ce résultat est à relier à la volonté chinoise de marquer, à sa manière, le 50e anniversaire de la reconnaissance de la République populaire par la France du général de Gaulle, premier pays occidental à avoir agi de la sorte. La visite du président chinois à Bruxelles n’a pas été non plus négligeable : elle manifestait qu’aux yeux de la Chine, l’Union européenne est une entité qui compte, à la fois puissance économique et partenaire obligé. Ce que trop souvent les Européens ignorent ou feignent d’ignorer. 

Ce que tout le monde sait en revanche, c’est que la Chine entend devenir la première puissance économique mondiale. Hors taux de change et selon des calculs complexes de parité de pouvoir d’achat, la richesse chinoise devrait même égaler celle des Etats-Unis dans quatre ans. Il ne s’agirait là que d’un retour à la normale puisque la Chine, jusque vers le milieu du XVIIIe siècle, a été la puissance la plus riche et la plus civilisée de la planète. J’ai toujours en tête ce que m’avait dit un jeune ingénieur chinois il y a quelques années, frais émoulu d’une grande école française : «le XIXe siècle a été pour nous celui de l’humiliation ; le XXe (avec Mao Tsé-toung, puis surtout Deng Xiaoping) celui de la restauration ; le XXIe siècle sera celui de notre domination.» Cela énoncé comme une évidence. La Chine n’est-elle pas déjà le premier créancier des Etats-Unis ? N’est-elle pas en passe de se doter d’une force militaire dont l’objectif, là encore, est d’égaler, voire de surpasser les Etats-Unis ?

Mais la Chine pourrait bien se révéler être un colosse aux pieds d’argile. Sa situation financière est instable. Au tournant des années 2000, il lui fallait emprunter 1 yuan pour créer 1 yuan de produit. Pour obtenir le même résultat, il lui faut aujourd’hui emprunter 4 yuans. En d’autres termes, le miracle économique chinois est construit sur une montagne de det­te. Une crise et une perte de confiance pourraient enrayer la croissance et entraîner le pays dans de gran­des difficultés sociales et politiques.

L’autre facteur de la fragilité chinoise tient aux très grandes disparités qui subsistent entre les villes et les campagnes, entre majorités et minorités, entre l’intérieur et les côtes, entre riches et pauvres. Bref, cette hétérogénéité a toujours été source, dans l’Histoire, pour la Chine, de révoltes et de divisions qui ont, à intervalles réguliers, freiné ou bloqué son développement. Par ailleurs, elle se déploie dans une aire bordée de puissants voisins, principalement l’Inde et le Japon, mais aussi le Vietnam et les Philippines. Lesquels s’inquiètent d’une rhétorique de plus en plus nationaliste.

L’ère de la domination chinoise n’est pas inscrite dans les astres. L’affirmation de la Chine restera bénéfique pour le reste du monde si celle-ci a la sagesse de rester une puissance économique ouverte et soucieuse de l’équilibre mondial, plutôt que de vouloir s’affirmer comme une nation «sûre d’elle-même et dominatrice», pour paraphraser une figure chère aux Chinois, le général de Gaulle

 

Jean-Marie Colombani

 

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