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Japon: il fouille la mer à la recherche de son amour perdu dans le tsunami

Yasuo Takamatsu (C) s'apprête à plonger à Onagawa, sur la côte est du Japon, pour tenter de retrouver sa femme disparue dans le tsunami, le 2 mars 2014 [Toru Yamanaka / AFP] Yasuo Takamatsu (C) s'apprête à plonger à Onagawa, sur la côte est du Japon, pour tenter de retrouver sa femme disparue dans le tsunami, le 2 mars 2014 [Toru Yamanaka / AFP]

"Tsunami énorme”. Ce sont les derniers mots que Yasuo Takamatsu a lus sur le portable de sa femme retrouvé dans un amas de boue et de décombres.

Alors, Yasuo a décidé d'apprendre à plonger pour fouiller la mer dans l'espoir fou de retrouver l’amour de sa vie trois ans après le drame.

Ces deux mots, il ne les avait jamais reçus ce 11 mars 2011. Réfugiée sur le toit d’une banque d’Onagawa, un petit port de pêche de la côte est du pays, Yuko a été emportée par un mur d’eau de près de 20 mètres.

Yasuo Takamatsu (C) plonge dans la mer, le 2 mars 2014 à Onagawa, sur la côte est du Japon, pour tenter de retrouver sa femme disparue dans le tsunami il y a trois ans [Toru Yamanaka / AFP]
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Yasuo Takamatsu (C) plonge dans la mer, le 2 mars 2014 à Onagawa, sur la côte est du Japon, pour tenter de retrouver sa femme disparue dans le tsunami il y a trois ans

"C’était une si gentille personne. Elle me manque tellement”. Le fin visage de Yasuo, un chauffeur de bus de 57 ans, émerge d’une combinaison de plongée. La voix est douce mais déterminée, empreinte d’une douloureuse sérénité. "Il me manque une grande partie de moi-même", dit-il assis sur le rebord d'un bateau juste avant de se laisser basculer, harnaché avec bouteille et détendeur, dans les eaux froides et troubles de la baie d’Onagawa.

Pour lui, c'est plus qu'une bascule: un saut immense dans le monde du silence à la recherche de sa femme.

- Goulet mortel -

"C’est horrible pour moi de penser qu'elle est peut-être là, en-dessous, quelque part. Je veux la ramener le plus vite possible à la maison".

A la maison: c’est ce que Yuko lui avait écrit avant d’être engloutie par la muraille liquide: "je veux rentrer à la maison". Ce message-là, il l’avait reçu. Mais ce n’était “que” après le tremblement de terre d’intensité 9 qui avait secoué le nord-est du pays à 14H46. Le pire était à venir: la monstrueuse vague qui allait tout arracher, vies, arbres, maisons.

Au total plus de 18.000 personnes ont perdu la vie. A Onagawa, plus de 800 personnes sont mortes, et 250 autres manquent toujours à l’appel trois ans plus tard. Dont Yuko, disparue à 47 ans.

La ville est lovée dans un couloir bordé de collines qui serpente jusqu'à la mer. Ce 11 mars, ce fut un goulet mortel.

Dès l'alerte au tsunami lancée, Yuko s'était ruée avec 12 collègues sur le toit de la banque où elle travaillait. Dix mètres, ça devait suffire. 15H21. Elle envoie un message à son mari, deux mots d'effroi: "tsunami énorme".

"A cette heure-là, le tsunami est passé au-dessus des quais du port. Je pense que l’eau a dû atteindre le toit en quelques minutes", raconte Yasuo.

Ils sont encore beaucoup aujourd'hui à Onagawa à chercher comme lui le long des côtes un corps, un objet, un petit rien.

- "Plus qu'un immense vide" -

Au moment du tsunami, Yasuo était avec sa belle-mère dans une ville voisine, mais au retour l'entrée d'Onagawa était déjà interdite. La ville était devenue un champ de lambeaux, un enchevêtrement monstrueux de bateaux et voitures, de carcasses d’immeubles éventrés, de bois arraché, de boue épaisse.

Il dut attendre jusqu’au lendemain pour passer et apprendre que la banque avait été emportée. "j’ai senti mes genoux lâcher, je n’étais plus qu’un immense vide".

Yasuo Takamatsu (D) écoute les instructions de son moniteur de plongée, le 2 mars 2014 à Onagawa, sur la côte est du Japon, pour tenter de retrouver sa femme disparue dans le tsunami [Toru Yamanaka / AFP]
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Yasuo Takamatsu (D) écoute les instructions de son moniteur de plongée, le 2 mars 2014 à Onagawa, sur la côte est du Japon, pour tenter de retrouver sa femme disparue dans le tsunami

Alors Yasuo a commencé, comme les autres, à chercher et chercher. A terre. Au large des plongeurs des garde-côtes ratissaient sans cesse la baie. Et à force de les regarder, il s’est décidé à aller lui-même la fouiller, cette mer qui lui avait pris son amour.

“Est-ce qu’à mon âge on peut encore apprendre à plonger?". Quand en novembre dernier il a posé la question au moniteur Masayoshi Takahashi, il était tendu comme un arc.

Face à cette boule d’angoisse, Takahashi a vite trouvé les mots et la chaleur. Il lui a ouvert les bras.

"Il fallait qu’il se détende, parce que, ici, on plonge en eaux troubles, on peut toujours être coincé dans des débris”, raconte aujourd’hui cet instructeur et patron du club de plongée local.

“Ca va prendre du temps. Mais il fait des progrès visibles. S’il continue comme ça, il va pouvoir commencer à participer aux recherches”.

Avec la même détermination froide, M. Takamatsu a engagé un autre combat, judiciaire celui-là, contre la banque. "Je ne pourrai jamais comprendre pourquoi on a dit aux employés de monter sur le toit, alors qu'ils pouvaient aller se réfugier plus haut sur une colline voisine, juste quelques minutes à pied".

L'immeuble a été emporté comme un fétu de paille. Huit employés, dont Yuko, n'ont toujours pas été retrouvés.

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