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Au Pakistan, des gamines mariées de force pour régler des dettes d'honneur

Photo de Saneeda, une jeune fille pakistanaise qui a échappé au mariage forcé, prise dans le Nord-Ouest du pays le 12 décembre 2013 [Aamir Qureshi / AFP/Archives] Photo de Saneeda, une jeune fille pakistanaise qui a échappé au mariage forcé, prise dans le Nord-Ouest du pays le 12 décembre 2013 [Aamir Qureshi / AFP/Archives]

Par un après-midi ensoleillé dont elle avait pris prétexte pour sécher les cours, Saneeda croisa au village son père ahuri qui lui annonça la nouvelle : il allait la donner en mariage pour payer une dette "d'honneur". La gamine n'avait que cinq ans et sa vie s'apprêtait à changer pour le pire.

Quelques mois auparavant, son père, Ali Ahmed, avait eu une idylle avec une femme de la vallée voisine. Les amants avaient été découverts. Et pour éviter de payer de sa vie le prix de cette romance, il avait promis de donner Saneeda et sa nièce Sapna en mariage à des hommes de la famille de sa maîtresse "illicite".

Au Pakistan, il arrive encore aujourd'hui que des familles offrent leur fille en compensation pour régler une dispute, une pratique nommée "swara" dans la vallée de Swat dont est originaire la jeune Saneeda.

Dans cette région du nord-ouest du pays contrôlée par les insurgés talibans de 2007 à 2009, le "swara" aurait même le vent en poupe, selon les données des autorités locales.

Un cas y avait été recensé en 2012, contre neuf l'an dernier, progression qui pourrait aussi s'expliquer par une volonté croissante des familles de dénoncer cette pratique qui brise chaque année les rêves de centaines de jeunes filles à travers le pays.

"Mon père m'avait arrêtée dans la rue pour me dire qu'il m'avait donnée en +swara+ à un homme qui allait devenir mon mari", rougit, encore embarrassée, Saneeda, gamine aujourd'hui âgée de sept ans, la tête drapée d'un châle doré serti de motifs brodés de fils rouges et mauves.

Briser l'omerta

Sa mère s'était opposée à ce troc, mais la +jirga+ locale, assemblée des anciens du village, a resserré l'étau sur les femmes de la famille.

Photo de Saneeda, une jeune fille pakistanaise qui a échappé au mariage forcé, prise dans le Nord-Ouest du pays le 12 décembre 2013 [Aamir Qureshi / AFP/Archives]
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Photo de Saneeda, une jeune fille pakistanaise qui a échappé au mariage forcé, prise dans le Nord-Ouest du pays le 12 décembre 2013

"Nous pensions au début qu'ils ne pouvaient pas emporter la fillette, mais ils ont accentué la pression et passaient chaque jour pour demander Saneeda en +swara+", se rappelle Fazal Ahad, l'oncle maternel de la gamine.

A bout de souffle, la famille a tenté le tout pour le tout, bravé l'omerta dans une société où l'honneur de la famille est sacré, pour porter plainte contre le père fautif et les membres de l'assemblée du village qui ont tous été arrêtés.

Un dénouement aussi inattendu qu'heureux pour Saneeda qui n'échappe toutefois plus aux railleries: "A l'école, les enfants me montrent du doigt et disent que j'ai été offerte en +swara+".

Sa cousine Sapna a, elle, été contrainte de se plier à la décision de la +jirga+ locale. Elle a été mariée contre son gré.

"Il y a énormément de cas de +swara+, mais les gens ne portent pas plainte à la police. Nous n'osons pas porter les affaires concernant les femmes devant les tribunaux, alors ce sont des gamines innocentes qui doivent porter le fardeau" de ce silence, déplore l'oncle Fazal.

La loi du silence

Selon les organisations locales, les cas recensés de "dons" de fillettes pour régler un différend ne sont que la partie visible d'un énorme iceberg que le pays entier préfère ne pas voir.

Photo de Saneeda, une jeune fille pakistanaise qui a échappé au mariage forcé, prise dans le Nord-Ouest du pays le 12 décembre 2013 [Aamir Qureshi / AFP/Archives]
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Photo de Saneeda, une jeune fille pakistanaise qui a échappé au mariage forcé, prise dans le Nord-Ouest du pays le 12 décembre 2013

"Dans les cas de +swara+, les gens sont réticents à témoigner les uns contre les autres, car ils sont du même village ou de la même communauté", explique Naveed Khan, un haut responsable de la police à Mingora, principale ville de la vallée de Swat.

"Personne ne veut témoigner dans ces affaires", renchérit Tabassum Adnan Safi, présidente de la seule "jirga" entièrement féminine du pays.

Faute de preuves, les inculpés sont le plus souvent acquittés. Ainsi, les 12 personnes arrêtées en lien avec la plainte locale déposée en 2012 ont toutes été relâchées. Les 65 personnes interpellées à Swat en 2013 dans les neuf cas recensés attendent que la justice décide de leur sort.

Pour Samar Minallah, documentariste pakistanaise ayant consacré un film aux fillettes aux destins scellés par des mariages forcés, rien ne changera tant que la police et les procureurs ne remettront pas en cause l'autorité des chefs de village, une tâche herculéenne dans les campagnes du pays.

"Les autorités doivent prendre des mesures strictes contre les +jirga+ pour les empêcher de violer la loi", qui protège les femmes, exhorte-t-elle.

Si un nombre croissant de familles pakistanaises dénoncent le "swara", cette pratique controversée trouve encore son lot d'apôtres dans le pays.

"Sauver des dizaines de vies"

"C'est une pratique très utile car elle permet de sauver des dizaines de vies et de ramener la paix entre les familles en apaisant les hostilités meurtrières", pense ainsi Syed Kareem Shalman, un avocat de Mingora.

A moins que cela ne nourrisse les conflits et le marchandage de fillettes sans fin. Car que se passera-t-il si le mari de Sapna, la cousine de Saneeda donnée en "swara", se met à la maltraiter? La famille de Sapna pourrait alors réclamer vengeance.... ou être à son tour compensée par une "swara".

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