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La littérature roumaine se fraie un chemin en Europe

Des clientes consultent des livres dans la section littérature contemporaine d'une librairie de Bucarest, le 21 mars 2013 [Daniel Mihailescu / AFP] Des clientes consultent des livres dans la section littérature contemporaine d'une librairie de Bucarest, le 21 mars 2013 [Daniel Mihailescu / AFP]

"Médecine de l'âme" dans un pays fragmenté, "boîte noire" pour décrypter les ravages du totalitarisme, encore nourrie de poésie, la littérature roumaine contemporaine se fraie un chemin en Europe malgré le manque de moyens dans son pays et les préjugés à l'étranger.

La Roumanie est l'invitée d'honneur du Salon du livre de Paris de vendredi à lundi, occasion de découvrir les nouveaux talents d'un pays dont des écrivains comme Cioran ou Mircea Eliade conquirent une réputation mondiale dans le passé.

"La littérature contemporaine a de la vitalité; elle est comme une forme de combat. Ici, les gens se sont emparés de la littérature pour résister au communisme, survivre aux bouleversements (après la chute de la dictature communiste en 1989,NDLR), conserver leurs racines", explique à l'AFP Didier Dutour, directeur adjoint de l'Institut français de Roumanie.

Bien que très diverse, la littérature roumaine contemporaine se distingue en Europe par son lien fort avec la poésie, ajoute-t-il.

Mircea Cartarescu, romancier et poète roumain contemporain le plus traduit ou la poétesse Ana Blandiana sont des voix emblématiques.

La situation du livre n'est pourtant pas rose. Dans un pays où le salaire moyen est de 350 euros, s'offrir un livre est parfois un luxe impossible.

"Le tirage moyen pour un roman écrit par un auteur contemporain est de 2000 exemplaires. C'est très peu rapporté à une population de 20 millions d'habitants", déplore le critique littéraire Matei Martin.

"Souvent, les éditeurs préfèrent ne pas prendre de risque et publient peu de titres roumains. Mais la partie positive, c'est que cette sélection des éditeurs conduit au top des ventes des auteurs de grande valeur qui n'écrivent pas de la littérature commerciale", précise-t-il à l'AFP, citant Cartarescu, Dan Lungu, Filip Florian, Lucian Dan Teodorovici et Varujan Vosganian.

Récemment, le livre analyse de l'historien Lucian Boia, "Pourquoi la Roumanie est différente" a dépassé les 50.000 exemplaires en trois mois, indique son éditeur Humanitas.

"Nos auteurs jouent souvent le rôle de médecins de l'âme. Les thèmes que nous proposons concernent la société roumaine contemporaine avec toutes ses maladies, ses espérances, ses désespoirs", indique à l'AFP le philosophe et directeur de Humanitas, Gabriel Liiceanu.

S'il déplore le "gouffre entre les élites intellectuelles roumaines et le reste de la population", M. Liiceanu se félicite qu'il "existe quelques centaines de milliers de personnes qui survivent grâce aux livres, rêvent par les livres et comprennent le monde grâce aux livres".

Sous le régime communiste déjà, où il fallait jouer sur les nuances et les ambiguïtés pour tromper la censure, la littérature a fonctionné comme échappatoire. "Il y avait des cénacles, on participait à une aventure littéraire, esthétique, qui n'était plus une expérience politique parce que le combat était perdu d'avance", estime M. Dutour. "C'est cela qui a nourri la génération 1980", dont Cartarescu est la figure de proue.

Vingt-trois ans après la chute de l'ancien dictateur Nicolae Ceausescu, "le communisme demeure un thème actuel même si le plus souvent il ne figure qu'en toile de fond" des fictions, dit M. Martin.

"La littérature est comme la boîte noire d'un avion. Si les témoignages directs des survivants et les analyses des experts n'arrivent pas à expliquer un accident, après la catastrophe ces enregistrements permettent de découvrir ce qu'il s'est vraiment passé", explique-t-il.

Une cliente regarde des livres de la section littérature contemporaine d'une librairie de Bucarest, le 21 mars 2013 [Daniel Mihailescu / AFP]
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Une cliente regarde des livres de la section littérature contemporaine d'une librairie de Bucarest, le 21 mars 2013
 

Victimes depuis des années dans leur pays du désintérêt de l'Etat, qui "ne s'implique pas du tout dans le soutien des activités culturelles", les auteurs roumains sont aussi confrontés aux préjugés de l'étranger visant la Roumanie, estime M. Liiceanu.

"Des auteurs remarquables portent l'image négative de leur pays, ils sont précédés de tous les maux politiques de chez nous", regrette-t-il.

Pourtant, "auteurs et éditeurs roumains sont des partenaires intellectuels de choix pour l'édition française", en raison de leur connaissance des langues et de la littérature mondiale, relève M. Dutour.

L'Europe de l'Ouest s'ouvre toutefois de plus en plus aux auteurs roumains ces dernières années, relève M. Martin.

"La littérature contemporaine offre une perspective nouvelle, plus authentique, de la Roumanie que les articles de presse. Pour les lecteurs de l'Occident, elle est une île à peine découverte: sauvage, exotique, merveilleuse".

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