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Croatie : l'Église contre l'éducation sexuelle

Une religieuse distribue des livres aux enfants, lors de la visite du pape Jean-Paul II à Osijekon, en Croatie, le 7 juin 2003 [Attila Kisbenedek / AFP/Archives] Une religieuse distribue des livres aux enfants, lors de la visite du pape Jean-Paul II à Osijekon, en Croatie, le 7 juin 2003 [Attila Kisbenedek / AFP/Archives]

L'introduction de l'éducation sexuelle dans les écoles en Croatie divise cette ex-république yougoslave et provoque le mécontentement de parents et de la puissante Église catholique, partie en croisade contre le gouvernement de centre-gauche.

Le gouvernement met en place cette année un programme expérimental de deux ans, avec l'objectif affiché de sensibiliser les élèves aux problèmes potentiels liés à la sexualité. Les thèmes vont de la contraception à la masturbation, en passant par les maladies sexuellement transmissibles, l'homosexualité ou l'égalité des sexes.

Près de 2.000 grossesses d'adolescentes et 400 avortements sont recensés chaque année en Croatie, a indiqué à l'AFP le responsable gouvernemental chargé de préparer ce programme, Vinko Filipovic.

"Au vu de ces données alarmantes, il est nécessaire de faire l'éducation des enfants qui arrivent à l'âge de la maturité sexuelle", fait-il valoir.

Le programme cible les élèves de neuf à dix-huit ans, qui recevront 3 ou 4 cours d'éducation sexuelle par an. Le programme n'étant pas basé sur des manuels particuliers, les élèves discuteront des thèmes avec des experts ou des professeurs.

Mais ce programme a suscité l'inquiétude du clergé catholique, soutenu par l'opposition et des associations conservatrices de parents, qui estiment que l’éducation sexuelle est de la responsabilité des parents et craignent un endoctrinement.

L'archevêque de Zagreb, Josip Bozanic, au Vatican le 28 février 2013 [ / Osservatore romano/AFP/Archives]
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L'archevêque de Zagreb, Josip Bozanic, au Vatican le 28 février 2013
 

"La paix de notre patrie est en jeu!", s'est exclamé récemment l'archevêque de Zagreb, Josip Bozanic, en dénonçant un programme "destructeur et dangereux".

L’Église a distribué à travers le pays des dépliants invitant les parents à signer des pétitions contre le programme.

"Cela ne vous gêne-t-il pas que vos enfants apprennent qu'une relation homosexuelle est aussi naturelle qu'une relation entre un homme et une femme?", lit-on sur un dépliant distribué dans les magasins.

Une association conservatrice de parents, Grozd, dénonce une initiative imposant "une vision de la vie qui va à l'encontre des valeurs de la plupart des parents", dans ce pays où quelque 86% des 4,2 millions d'habitants sont catholiques.

L'association n'est pas contre l'éducation sexuelle à l'école, mais aurait voulu que les parents aient leur mot à dire sur le contenu et puissent choisir entre deux programmes selon leurs valeurs.

Selon elle, les thèmes abordés ne sont pas adaptés à l'âge des enfants.

"Ce programme viole le droit des parents de décider de l'éducation qu'ils veulent donner à leurs enfants. Cela viole un droit de l'homme fondamental, celui de penser différemment", a expliqué à l'AFP Ladislav Ilcic, chef de Grozd.

Un débat public fervent sur cette question s'est intensifié ces dernières semaines, un autre évêque de Zagreb, Valentin Pozaic, allant jusqu'à appeler à renverser le gouvernement, le comparant aux régimes totalitaires communiste ou nazi.

Les Croates semblent divisés sur la question: selon un sondage récent, 56% des Croates pensent que l'éducation sexuelle est nécessaire et que l’Église ne devrait pas s'y mêler, mais 33% que ce programme n'est pas acceptable pour les catholiques.

Certains, comme Goran Miletic, un commerçant d'une trentaine d'années, père de deux enfants, soutiennent le gouvernement: "L'éducation des enfants devrait tenir compte de la réalité pour les préparer à tout ce qui les attend dans la vie".

Défilé de la Gay pride à Split, en Croatie, le 9 juin 2012 [Hrvoje Polan / AFP/Archives]
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Défilé de la Gay pride à Split, en Croatie, le 9 juin 2012
 

D'autres y sont défavorables. Ivo Horvat envisage d'interdire à son enfant de 15 ans d'assister à ces cours, ce que les autorités ne sont pas prêtes à tolérer. Ce qu'il craint, c'est que ce programme ne fasse "de la propagande homosexuelle déguisée en tolérance".

Les quelque 516.000 élèves concernés sont eux aussi divisés sur ce sujet.

"C'est beaucoup de bruit pour rien. On verra à quoi ça ressemble, mais l'Église ne devrait pas s'ingérer dans les écoles", estime Laura, 15 ans.

Goran, un adolescent, préfère quant à lui "poser des questions à vos amis plus âgés, alors que les instituteurs pourraient se sentir mal à l'aise de discuter de certains thèmes avec les élèves".

Le ministre de l’Éducation, Zeljko Jovanovic, a dénoncé un comportement "inacceptable, malveillant et diffamatoire" de l’Église.

"Ils peuvent dire tout ce qu'ils veulent en dehors des écoles, mais ils ne peuvent pas décider de ce qui y sera enseigné", a-t-il martelé.

Opprimée dans la Yougoslavie communiste, l’Église catholique s'est imposée comme un partenaire des autorités de Zagreb après la proclamation de son indépendance en 1991 et intervient dans le débat public.

Pour Ivica Mastruko, sociologue des religions et ancien ambassadeur croate auprès du Vatican, "c'est une nouvelle tentative de l'Eglise catholique de s'imposer comme une force politique dans la société".

Cette nouvelle controverse fait suite au bras de fer qui avait opposé le gouvernement de centre-gauche à l'Eglise au sujet de la Procréation médicalement assistée. Le gouvernement a modifié la loi en 2012 pour autoriser la congélation des embryons et donner aux femmes célibataires accès à la PMA.

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