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"Le modèle chinois est obsolète"

Deux hommes marchent dans le quartier d'affaires de Shanghai, le 17 octobre 2012.[Peter Parks / AFP/Archives]

Hausse des exportations, bond de la production industrielle en novembre... Depuis le Congrès du parti communiste chinois le mois dernier, les bons chiffres de l’économie chinoise pleuvent.

Pourtant, le président Hu Jintao a lui-même appelé le mois dernier son successeur, Xi Jinping (qui prendra la tête du pays en mars prochain), à mettre en place un «nouveau modèle de croissance» pour la Chine. Le décryptage de Pierre Sabatier, Président du cabinet indépendant de recherche économique et financière PrimeView, et  co-auteur de La Chine, une bombe à retardement (Ed. Eyrolles).

 

Comment interpréter le rebond  de l'économie chinoise?

Les bons chiffres actuels ne nous surprennent pas. Le pouvoir nouvellement en place appuie à nouveau sur l’accélérateur afin de calmer le mécontentement de la population face au ralentissement accéléré en cours depuis le milieu d’année. D’ailleurs, les leviers actionnés pour relancer la machine sont les mêmes que lors des années 2008-2009 : l’investissement, notamment dans les infrastructures. La différence, c’est que les marges de manœuvre sont désormais bien moins importantes qu’à l’époque. S’ils peuvent maintenir le rythme encore quelques mois, cela ne pourra pas se prolonger au-delà.

Il ne faut pas voir la Chine avec nos standards occidentaux. Le PIB chinois est publié environ quinze jours après la fin du trimestre, quand les Etats-Unis et l’Europe mettent trois mois - avec trois tours de révisions - pour avoir une idée précise des chiffres. Dans ce pays autoritaire, sans transparence, on connaît presque à l’avance les chiffres qui seront publiés, et qui seront en accord avec les annonces des dirigeants.

 

Sur quoi s’est bâti le modèle économique chinois?

Le modèle qui les a portés jusque-là, et qui repose sur deux leviers - les exportations et les investissements – est obsolète. Concernant tout d’abord les exportations, à partir du début des années 2000, les Chinois sont entrés dans le commerce mondial [adhésion à l’OMC en 2001] et ont offert aux Occidentaux des coûts de production très faibles, tout en assurant la stabilité de ces bas coûts grâce à un régime de change autoritaire. Cela a permis à la Chine de devenir le premier exportateur mondial en une dizaine d’années. Du jamais vu.

Les investissements, eux, ont explosé à partir de 2008-2009 avec la récession mondiale et l’épuisement de la demande occidentale. Cette crise a mis en lumière la vulnérabilité du modèle chinois qui ne reposait que sur l’extérieur. Pour éviter une récession qui aurait mis en question la légitimité du parti au pouvoir, les Chinois ont activé le levier investissement en disant à leurs établissements financiers : prêtez ! Il y a eu donc une orgie de crédits alloués aux collectivités locales et aux entreprises publiques, ce qui a permis de financer énormément de projets (routes, chemins de fer…) et de  retrouver des niveaux de croissance élevés, grâce aux emplois créés et donc à la consommation associée.

 

En quoi ces investissements dans des projets intérieurs posent-ils problème aujourd’hui ?

Ces investissements étaient très positifs à court terme. Mais les Chinois ne se sont pas posés la question de savoir si ces projets étaient rentables. Shanghai n’est pas la Chine ! Seulement la vitrine du pays qui cache une toute autre réalité : des tours vides, des autoroutes désertes car les gens n’ont pas les moyens de payer les péages... Du coup, si le pouvoir central est peu endetté, les collectivités locales, elles, le sont énormément. Selon une estimation, leur endettement représente 50% de PIB, ce qui est monstrueux.

Les dirigeants chinois semblent conscients qu’ils doivent changer le modèle économique de leur pays. Mais le peuvent-ils ?

Cette transition d’un modèle qui repose sur l’extérieur vers un autre reposant sur la consommation intérieure ne peut pas se faire via du réformisme, linéairement, sans accident, tant la Chine est allée loin dans les excès. Car si elle veut notamment réduire les investissements, il faudrait pour maintenir ce rythme effréné de croissance que sa consommation intérieure augmente radicalement (elle représente aujourd’hui 35% du PIB, quand dans les autres pays elle est d’environ 60%), ce qui implique une hausse importante des salaires que les entreprises ne sont pas capables de supporter.

Il risque donc d’y avoir un accident de croissance, sans doute dans les deux, trois ans à venir,  une récession liée à une surcapacité d’offre (on a trop produit et trop investi dans des projets que ne peut pas assumer le marché intérieur).

 

Le pouvoir craint-il la grogne sociale ?

C’est même le principal enjeu pour le pouvoir chinois : l’économie lui a servi jusque-là à maintenir la stabilité sociale et donc sa légitimité. Pékin a une peur folle de ce qui s’est passé en Afrique du nord avec les révolutions arabes, surtout qu’il est plus compliqué aujourd’hui d’entretenir un pouvoir autoritaire, car l’information circule plus vite et il est difficile de la contenir.

S’il y a des soulèvements, il est toutefois peu probable qu’ils arrivent à leur terme car le pouvoir les réprimera, comme il l’a déjà fait par le passé.

 

En quoi la démographie du pays pose-t-elle problème ?

C’est un problème qui va jouer dans les cinq prochaines années. La politique de l’enfant unique a permis au pays d’avoir peu de séniors, moins de gens à charge et une force productive énorme. Maintenant, il va falloir gérer le nombre croissant de personnes âgées [et la réduction de la force de travail], ce qui ne sera pas viable sans la mise en place d’un véritable système social.

 

Quel impact une explosion de l’économie chinoise aurait-elle chez nous ?

La Chine ne s’écroulera pas radicalement, il s’agira plutôt d’une transition entre deux modèles opposés, qui changera sans doute peu de choses dans nos pays. Si la monnaie chinoise chute, on ne paiera pas plus cher les produits fabriqués là-bas. Il ne faut pas surestimer l’impact des exportations, notre croissance repose moins sur l’extérieur que sur notre propre consommation intérieure. Une récession chinoise pourrait surtout faire souffrir les quelques acteurs français ou européens qui ont redéfini leur modèle économique pour profiter de ces zones de fortes croissances.

 

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