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Dounia Bouzar, pasionaria de la lutte contre l'islam radical

Dounia Bouzar,le 14 mars 2003 à Paris [Martin Bureau / AFP/Archives] Dounia Bouzar,le 14 mars 2003 à Paris [Martin Bureau / AFP/Archives]

Aux mères dont les fils sont tentés par le jihad elle dit: "rattachez vos enfants par le coeur". Experte en laïcité devenue spécialiste du "désembrigadement", vivant désormais sous protection, Dounia Bouzar raconte cette mission particulière dans un livre à paraître jeudi.

 

"Vieille éducatrice" et "jeune universitaire", comme elle se présente elle-même, cette quinquagénaire musulmane à la chevelure teinte en blond retenue par un bandeau est née "d'un père arabo-musulman et d'une mère athée" qui l'ont prénommée Dominique, avant qu'elle n'opte pour Dounia.

Avant de consacrer son temps aux proches de jeunes candidats au jihad, Dounia Bouzar a été éducatrice puis chargée d’études à la Protection judiciaire de la jeunesse qu'elle a quittée en 2009. Elle obtient un doctorat en anthropologie du fait religieux et devient spécialiste de la question, en particulier sur la laïcité en entreprise.

Depuis un an et demi, elle s'est transformée en pasionaria de la lutte contre l'islam radical, cofondant le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI). Le ministère de l'Intérieur l'a mandatée pour appuyer les cellules antiradicalité des préfectures.

Plus de 500 familles l'ont contactée. Une fille partie en Syrie pour épouser un inconnu qu'elle imagine en prince charmant, un adolescent qui voulait sauver le monde... "Chaque semaine, cinq à six nouvelles familles nous appellent", raconte-t-elle.

"Certains ont détecté des premiers signes d'embrigadement, dans d'autres cas le jeune voulait partir et la police l'a ramené...", décrit-elle. Vidéos hypnotiques, chansons bouleversantes, images détournées... Une fois par mois, l'équipe réunit une quarantaine de familles pour leur montrer ce qui a pu séduire leur progéniture.

"N'essayez pas de les raisonner", leur dit Dounia Bouzar qui invoque plutôt les "petites madeleines" de Proust: "Utilisez leur coeur, rappelez-leur comme vous étiez bien ensemble". Et plutôt que de parler frontalement aux adolescents radicalisés, elle préfère faire témoigner des jeunes revenus de Syrie et "désembrigadés" dont le discours va faire mouche.

"Pilier" de l'Observatoire de la laïcité, Dounia Bouzar "nous avait alertés il y a déjà plusieurs années sur les méthodes de manipulation mentale" utilisées par les recruteurs, se rappelle Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire. "Educatrice, anthropologue, sociologue, elle a même fait un peu de théâtre", décrit M. Bianco, une expérience de vie qui permet, selon lui, des approches "complémentaires" du sujet.

 

Pas là pour être aimée

"Elle est très courageuse", salue Serge Blisko, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui rappelle qu'elle "vit sous protection".

Menacée, Dounia Bouzar est aussi critiquée. Le musulman orthodoxe Fateh Kimouche, blogueur influent sous le nom d'Al Kanz, s'agace régulièrement que les médias donnent la parole à une spécialiste à ses yeux "illégitime" qui "ne parle pas l’arabe et n’a pas accès aux textes canoniques qui fondent la religion islamique".

"Je ne suis pas théologiste, je suis docteur en anthropologie", riposte Mme Bouzar, "je n'interprète jamais l'islam".

"Je suis beaucoup attaquée, aussi par l'extrême-gauche", balaie-t-elle, assurant: "je ne suis pas là pour être aimée".

En revanche elle tient à défendre son équipe "épuisée" et elle aussi pointée du doigt: "oui j'ai embauché un camionneur et une serveuse", dont l'un a une soeur en Syrie et l'autre une nièce "désembrigadée". "Je n'ai trouvé qu'eux pour être debout. Les autres, les bac+ 6, ils faisaient des cauchemars", rétorque-t-elle.

Travaillent aussi à ses côtés ses deux filles. L'une, juriste, continue d'animer le cabinet familial Bouzar expertises, tandis que l'autre est chef d'équipe au CPDSI.

Dans son dernier livre, "La vie après Daesh" (Editions de l'Atelier), Dounia Bouzar livre des éléments très personnels sur sa vie, évoquant son premier mari, mort alors qu'elle avait 20 ans et son second, qui la battait.

"On me voit comme une femme forte mais j'ai été à terre longtemps", explique-t-elle. Témoigner est une façon de dire aux parents: "vous arriverez à vous relever".

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