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"Viens chez moi, j'habite chez mon patron", symptôme de la crise du logement

Les patrons de plus en plus nombreux à proposer un hébergement à leurs salariés, notamment dans le domaine du travail saisonnier [Remy Gabalda / AFP/Archives] Les patrons de plus en plus nombreux à proposer un hébergement à leurs salariés, notamment dans le domaine du travail saisonnier [Remy Gabalda / AFP/Archives]

C'est un casse-tête pour les salariés, ça l'est aussi pour les employeurs: confrontés à des problèmes de recrutement liés au logement, de plus en plus de patrons proposent un hébergement à leurs employés ou imaginent des solutions spécifiques, notamment pour les saisonniers.

Bertrand Bailly, directeur général de la société de conseil Davidson, vient de débourser près d'un million d'euros pour "acheter et retaper une maison en ruine", à Clamart (Hauts-de-Seine). A partir d'octobre, neuf de ses salariés deviendront locataires de son "campus", qui associe espaces partagés et appartements meublés, à des prix "25% inférieurs à ceux du marché".

"Dans une profession où le turnover est délirant - 30% chaque année -, nous estimons qu'il est important de se focaliser sur le bien-être des salariés et de leur rendre service, via des dispositifs et un management de bon sens", explique le chef d'entreprise à l'AFP.

M. Bailly n'est pas un cas isolé. Postes non pourvus, stress et retards récurrents: 40% des établissements se disent affectés par les difficultés de logement de leurs salariés, selon une étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) publiée en 2012.

Si un quart recourent aux dispositifs institutionnels (action logement, etc.), 35% mettent en place des actions spécifiques à leur entreprise.

Axon cable, implanté en zone rurale dans la Marne, vient ainsi de réhabiliter un bâtiment d'une trentaine de chambres. "C'est devenu indispensable, personne ne viendrait si on n'avait pas de logements", explique Bettina François, responsable des ressources humaines.

Valentin Maurice, un ingénieur de 24 ans, est locataire de son patron; il confirme: "C'est un argument pour l'employeur. Cela permet de s’installer sans acheter de voiture et d'épargner, car le loyer n'est que de 150 euros par mois".

Malgré un chômage record (3,38 millions de demandeurs d'emploi sans activité), le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) estime qu'environ 400.000 tentatives de recrutement sont abandonnées chaque année. La mobilité géographique, réputée fluidifier le marché du travail, est particulièrement limitée dans l'Hexagone du fait de la crise du logement.

- "Paternalisme" -

Le problème est encore plus criant pour les saisonniers, estimés entre 1 et 2 millions. "On a tous le même souci: j'ai un ami qui vient d'acheter un hôtel près de Sète, il n'a pas pu ouvrir pour la saison, faute d'avoir trouvé du personnel", témoigne Jacques Mestre, restaurateur à la Grande Motte (Hérault) depuis 41 ans.

"Au départ, nous avons loué des logements à nos salariés, mais nous avons arrêté (...) Maintenant, nous nous portons garants pour eux et cherchons d'autres solutions", explique-t-il. Sa solution? Un partenariat noué entre l'Umih (Union des métiers et des industrie de l'hôtellerie), dont il est le responsable régional, et le Crous de Montpellier. Depuis trois ans, plus de 400 logements, "très décents" précise-t-il, sont proposés aux travailleurs entre mai et septembre.

En montagne, même problème, même réponse: Roger Machet, hôtelier-restaurateur à Val d'Isère (Savoie), possède quatre appartements dans lesquels il loge gratuitement ses salariés. "Malheureusement, on ne peut pas faire autrement, la majorité des collègues sont dans la même situation. On considère que nos salariés doivent être confortablement installés pour être efficaces au travail", dit-il.

"A cause de la crise du logement, nous voyons le gré à gré se développer. C'est une démarche qui nous dérange fortement", estime de son côté Fabrice Angeï, responsable des questions de logement à la CGT.

Selon le syndicaliste, "cela accroît le lien de soumission avec l'employeur, car le bail est soumis au contrat de travail, souvent de courte durée, qui fait figure d'épée de Damoclès".

Dénonçant un "retour à la philosophie paternaliste du XIXe siècle, qui permettait le contrôle visuel dans le travail et hors du travail", le syndicaliste dit préférer les "démarches collectives".

Une option qui a aussi les faveurs des patrons. Grâce à un partenariat avec la Caisse des dépôts, l'Umih livrera fin 2015 un projet pilote de 120 logements à Antibes (Alpes-Maritimes) pour loger saisonniers, apprentis et étudiants. Une dizaine d'autres résidences devraient suivre.

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