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Vel d'Hiv : la France assume enfin, selon un rescapé

Le mémorial de la déportation à Drancy, le 16 juillet 2012 [Bertrand Guay / AFP/Archives] Le mémorial de la déportation à Drancy, le 16 juillet 2012 [Bertrand Guay / AFP/Archives]

Soixante-douze ans après la rafle du Vel d'Hiv en juillet 1942, la France assume enfin "pleinement" ses responsabilités dans la déportation de 13.000 juifs parisiens, estime le rescapé Joseph Weismann, décoré dimanche au Mans de la médaille des Evadés, qui lui était refusée depuis des années.

"Avec cette médaille, la boucle commencée le 16 juillet 1942 est enfin bouclée. C'est pour moi la reconnaissance de tout ce qui s'est passé", a déclaré à l'AFP M. Weismann, 83 ans, l'un des très rares rescapés de la rafle.

Evadé à l'âge de 11 ans du camp de Beaune-la-Rolande (Loiret) où il avait été conduit après avoir passé trois jours au Vélodrome d'Hiver, M. Weismann avait jusqu'à présent échoué à obtenir la décoration, son cas ne rentrant pas dans les critères d'attribution détaillés dans un décret du 7 février 1959.

A la faveur d'une dérogation "à titre exceptionnel", la médaille lui a été remise dimanche matin par le ministre et élu de la Sarthe Stéphane Le Foll, au Mans, où il réside, lors de la journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français.

"Cette médaille qui n'avait pas été délivrée illustrait le mélange de honte, de culpabilité et de gêne de la France" concernant cette page de son histoire, estime M. Weismann. Il avait fallu attendre 1995 et Jacques Chirac pour que la France reconnaisse sa responsabilité dans la déportation des juifs.

- "On vient vous arrêter" -

Les 16 et 17 juillet 1942, la police de Vichy avait arrêté 13.152 personnes, dont plus de 4.000 enfant, lors de la plus massive rafle de juifs réalisée en France.

Joseph Weismann, décoré dimanche au Mans de la médaille des Evadés, le 5 mars 2010, au Mans [Jean-François Monier / AFP/Archives]
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Joseph Weismann, décoré dimanche au Mans de la médaille des Evadés, le 5 mars 2010, au Mans

"J'étais un enfant de 11 ans avec son papa, sa maman, ses deux soeurs, rue des Abbesses, dans le 18e", se souvient M. Weismann, dont l'histoire a inspiré le film à succès "La Rafle" en 2010.

"Vers midi, le 16 juillet, je croise dans la rue une camarade qui me dit : +tu devrais rentrer chez toi, c'est pas bon pour les juifs aujourd'hui+. Peu après frappent chez nous deux policiers français, un en uniforme et un en civil, avec un air glacial".

"+Madame, vous avez un quart d'heure pour faire vos valises, on vient vous arrêter+, disent-ils à ma mère".

Conduit avec sa famille et les autres raflés au Vel d'Hiv, Joseph se souvient y avoir vécu trois jours "sans boire, sans manger, avec des toilettes inutilisables, dans une chaleur étouffante".

Transféré à Beaune-la-Rolande, il est sur le point d'être déporté à Auschwitz avec ses proches, le 7 août, quand "arrivent des officiers allemands qui m'extraient du convoi avec d'autres enfants, car contrairement à Vichy, Berlin ne prévoyait pas à ce moment-là de déporter les enfants".

- "Cinq heures sous les barbelés" -

Deux jours plus tard, marqué par "la scène insupportable de la déportation" de ses parents, il réussit l'impensable : une évasion du camp.

"J'étais parvenu à recruter un autre garçon, également prénommé Joseph. Nous avons rampé pendant cinq heures sous d'énormes amoncellements de barbelés. Peut-être que le gendarme dans le mirador dormait, peut-être qu'il a vu mais n'a pas voulu voir, peut-être qu'il n'a rien vu, ce que je pense", témoigne M. Weismann.

Les deux enfants parviennent à rejoindre Paris, non sans avoir au cours de leur périple été livrés par une habitante à des gendarmes... qui les laisse repartir. "Tout a existé, même des braves gens déguisés en gendarmes", note le rescapé.

Joseph Weismann sera ensuite hébergé dans des orphelinats avant d'être accueilli en Sarthe chez une lavandière, où il passe le restant de la guerre.

"Mon ami Joseph s'est exilé aux Etats-Unis et n'a plus jamais remis les pieds en France, +un pays où on tue les femmes et les enfants+".

"En 1948, à la création de l'Etat d'Israël, des amis m'ont proposé d'y émigrer. Mais j'ai toujours été profondément français. Je reste ici."

Aujourd'hui, les poussées électorales de l'extrême droite en France et en Europe lui apparaissent "difficiles à avaler".

Car malgré un ton différent, "le fonds de commerce raciste et antisémite n'a pas changé", estime l'octogénaire.

"Il y a une extrême droite qui existe et qui a toujours existé en France : celle qui précisément a pu cracher son venin sous Vichy", souligne-t-il.

 

 

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