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Le CV anonyme, arme anti-discrimination ou usine à gaz ?

L'entrée principale du Conseil d'Etat, le 10 octobre 2010 à Paris. [Boris Horvat / AFP/Archives] L'entrée principale du Conseil d'Etat, le 10 octobre 2010 à Paris. [Boris Horvat / AFP/Archives]

Outil contre les discriminations pour les uns, lourdeur administrative pour les autres. Récemment déterré par le conseil d'Etat, le CV anonyme, adopté en 2006 mais jamais entré en vigueur, pâtit d'un manque de volonté politique, mais aussi d'un soutien syndical et patronal.

 

Le Conseil d'Etat a remis le sujet sur la table mercredi, en sommant le gouvernement de prendre dans les six mois le décret d'application de la loi de 2006 qui rend obligatoire les CV anonymes dans les entreprises de plus de 50 salariés.

D'expérimentations en études, les gouvernements successifs n'ont eu de cesse de repousser l'échéance.

Le Conseil d'Etat a reconnu que l'élaboration du texte a rencontré des "difficultés" et que la conduite "d'expérimentations et leur évaluation" prenait du temps, mais estimé que cela ne justifiait pas un tel retard.

Le gouvernement Valls n'a pas encore arrêté sa position sur le sujet. Comme prévu dans la feuille de route issue de la conférence sociale cette semaine, il mettra en place en septembre un groupe de travail sur les discriminations au travail, avec les partenaires sociaux et les associations les plus impliquées. "C'est sur cette base qu'on se décidera", indique-t-on au ministère du Travail, qui n'exclut pas de modifier le texte sur le CV anonyme dans un projet de loi plus large.

Selon ses défenseurs, le CV anonyme permet aux personnes victimes de préjugés relatifs à la couleur de peau, au nom, au lieu de résidence, à l'âge ou à l'apparence physique de décrocher un premier entretien d'embauche.

"Il y a des expériences intéressantes sur le sujet mais il y a aussi des études un peu mitigées", nuance-t-on au ministère.

Une étude a été publiée en avril 2011 par le Centre de recherche en économie et statistiques (Crest), en collaboration avec Pôle emploi. Elle conclut que le CV anonyme "pénalise" les demandeurs d'emploi issus de l'immigration ou résidant dans les zones sensibles, qui n'auraient qu'une chance sur 22 de décrocher un entretien avec un CV anonyme, contre une chance sur 10 avec un CV nominatif.

Ces résultats, obtenus à partir d'un échantillon non représentatif d'entreprises, sont qualifiés d'"inattendus" par les auteurs.

"Les entreprises ayant participé à l'étude, qui sont prêtes à tester une politique de lutte contre les discriminations, appliquent probablement déjà une +discrimination positive+ en temps normal", explique Thomas Le Barbanchon, l'un des auteurs. Elles seraient donc plus compréhensives face aux lacunes d'un CV lorsqu’elles peuvent observer que le candidat est issu de l'immigration.

 

- "Pas l'alpha et l'oméga" -

 

Ces "résultats totalement étranges" sont "contredits par tous les testings faits en France et en Europe", assure quant à lui le directeur de l'Observatoire des discriminations Jean-François Amadieu, fervent défenseur du CV anonyme.

Autre objection au dispositif: sa mise en application serait "difficile" selon M. Le Barbanchon. "Ca va coûter cher aux entreprises d'anonymiser efficacement tous les CV et ça va être difficile pour l'administration de vérifier que c'est effectivement fait."

Cette crainte est partagée par une partie du patronat. La Confédération des petites et moyennes entreprises y voit une "fausse bonne idée" qui "alourdit" le recrutement "sans effet positif".

Du côté des syndicats, aucun ne fait de la généralisation du CV anonyme un cheval de bataille. Aucune centrale n'a réagi à la décision du Conseil d'Etat.

Durant la dernière décennie, de nombreuses entreprises et collectivités ont expérimenté le dispositif, dont Axa, Total, PSA, La Poste ou le département de l'Essonne. Depuis 2008, la région Aquitaine effectue tous ses recrutements sur la base de CV anonymes.

"Il n'y a ni coût ni délai supplémentaire", assure Naïma Charaï, conseillère régionale chargée de la lutte contre les discriminations. "Pour nous, poursuit-elle, c'est un outil formidable de diversification des candidatures, mais ce n'est pas l'alpha et l'oméga, ce n'est qu'un élément du dispositif de lutte contre les discriminations."

Entre 2010 et 2012, la région assure avoir recensé en moyenne 30% de candidatures de plus par rapport à avant la mise en place du CV anonyme.

"On a des témoignages de personnes recrutées qui, par autocensure, n'auraient pas postulé sans le CV anonyme de peur d'être écartées à cause de leur photo, de leur nom, de leurs origines", rapporte Mme Charaï.

Entre les "pour" et les "contre", l'exécutif a six mois pour trancher.

 

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