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La prison, lieu de "radicalisation" islamiste ?

La prison de Fleury-Mérogis [Eric Feferberg / AFP/Archives] La prison de Fleury-Mérogis [Eric Feferberg / AFP/Archives]

C'est en prison que Mehdi Nemmouche, le suspect des meurtres du Musée juif de Bruxelles, aurait basculé vers l'islam radical, un phénomène pris en compte par le ministère de la Justice mais difficile à appréhender, à quantifier et parfois même à détecter.

 

"Pour l'administration pénitentiaire ça n'est pas forcément quantifiable, ça se déroule en catimini", explique Farhad Khoroskhavar, directeur de recherche à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, auteur de "L'islam en prison".

Ce phénomène "d'hyperfondamentalisme" procède "d'une forme d'affirmation de soi" et touche aussi pour partie des individus "instables", selon le chercheur.

Mais si "l'incarcération accentue ce phénomène", pour lui, "il ne faut pas tout mettre sur le dos de la prison". Car dans un parcours comme celui de Mehdi Nemmouche, si les faits sont avérés, "c'est surtout la Syrie qui compte", un séjour qui s'apparente à un "lavage de cerveau où ils deviennent durs et peuvent tuer".

Pour sa collègue Ouisa Kies, qui a travaillé sur ces phénomènes de radicalisation en prison, l'islam n'est pas en soi déclencheur du passage à l'acte. "Parce que des individus radicaux qu'on qualifie de loups solitaires, comme Mohamed Merah, sont des personnes qui ne connaissent strictement rien à l'islam, qui ont eu un parcours chaotique à la fois scolaire et familial, avec une violence qui s'est certainement intériorisée".

L'administration pénitentiaire dispose d'un "bureau central" du renseignement, qui a été renforcé depuis le "plan de sécurisation" des prisons annoncé en juin 2013 par Christiane Taubira et compte désormais 12 fonctionnaires. Et au moins un fonctionnaire est dédié à cette tâche dans chaque prison et chaque direction interrégionale.

Les surveillants, eux, reçoivent désormais une formation spécifique pour détecter les "mouvements de repli identitaire", précise la chancellerie. En cas de prosélytisme, les groupes sont "éclatés" par des transferts d'établissement.

Le ministère fait également des efforts pour augmenter le nombre d'aumôniers musulmans, avec 15 "équivalents temps plein" créés en 2013 et autant en 2014, effort qui "sera poursuivi en 2015". Les aumôniers musulmans sont actuellement 169, et si l'administration ne tient pas de statistiques religieuses, plus de 18.300 détenus s'étaient enregistrés pour le dernier ramadan (sur une population carcérale à l'époque de 67.683).

- Mélangés dans les cours de promenade -

Selon Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des Lois à l'Assemblée, le bureau du renseignement pénitentiaire "suit environ 810 détenus, dont 250 en lien avec le terrorisme. Et un peu moins d'une centaine de personnes font l’objet d’une surveillance pour des comportements en lien avec la mouvance islamiste, tandis que les autres individus surveillés sont liés à des organisations séparatistes (basques, corses, kurdes, etc.)".

La chancellerie confirme un chiffre global "aux alentours de 800", mais souligne que "la très grosse majorité concerne la criminalité organisée".

Certains détenus radicaux sont signalés avant même leur incarcération, pour d'autres c'est l'administration pénitentiaire qui signale leur radicalisation aux services de police, comme ce fut d'ailleurs le cas pour Mehdi Nemmouche. Sans vouloir donner de chiffres, le ministère de la Justice évoque "plusieurs centaines d'échanges d'informations" dans les deux sens en 2013.

Selon une source au ministère de l'Intérieur, "toute la complexité vient de l'appréciation qu'on doit porter sur des détenus ultrapiétistes, salafistes, plus nombreux qu'il y a dix ans, mais qui ne portent pas de combat politique. A l'inverse, des détenus pouvant tomber dans le jihadisme ne donnent aucun signe de religiosité".

Un responsable pénitentiaire à Fleury-Mérogis, plus grande prison d'Europe, souligne également que les propagandistes ne sont pas toujours détectables et sont souvent bien insérés dans la population carcérale. Quant aux jihadistes condamnés, ils sont "détenus particulièrement surveillés", mais mélangés aux autres dans les cours de promenade.

Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a affirmé lundi vouloir lutter contre la radicalisation en prison, phénomène dont le recteur de la Grande mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, estime qu'il "prend en otage" la communauté musulmane, "témoin impuissant devant la recrudescence des jeunes jihadistes recrutés en prison".

Une source policière juge de son côté, sous couvert d'anonymat, que "cela fait des années que le renseignement dans les prisons est problématique: l'administration pénitentiaire en fait, et même parfois plutôt bien, mais elle manque cruellement de moyens pour le faire correctement et suivre tous ceux qu'elle devrait suivre".

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