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Clichy, berceau des émeutes, métamorphosée

Immeuble d'habitations neufs sur le site du "Chêne Pointu" à Clichy-sous-Bois, le 12 mai 2014 [Alain Jocard / AFP] Immeuble d'habitations neufs sur le site du "Chêne Pointu" à Clichy-sous-Bois, le 12 mai 2014 [Alain Jocard / AFP]

Son garçon de trois ans dans les bras, Sandrine Dejesus traverse une rue tranquille aux immeubles immaculés, la chaussée à peine terminée. En 2005 éclataient sous ses fenêtres les plus graves émeutes dans l'histoire des banlieues françaises.

 

La jeune femme de 33 ans n'a pas changé de quartier. Ce sont les barres d'immeubles et les détritus qui ont disparu, au terme du plus ambitieux programme de rénovation urbaine de France. Lancé il y a dix ans, il a métamorphosé le quartier du plateau de Clichy-sous-Bois et Montfermeil (Seine-Saint-Denis).

"Ils étaient obligés de changer, ils ne pouvaient pas nous laisser à l'abandon", sourit Sandrine Dejesus dans son nouveau duplex de 96m2.

"Quand on voit les cités de Marseille à côté... Ici, je suis une reine!", s'exclame cette mère de trois enfants qui a collé des papillons argentés pour égayer les murs, éclairés par de larges baies. A la fenêtre, un imposant bloc de béton sinistre: un des rares immeubles à ne pas avoir été dynamité.

Laadj Talaa, une ancienne des Bosquets, copropriété très dégradée en partie démolie, a elle quitté son immeuble délabré pour un bâtiment propret, entouré de grilles. "C'est plus le ghetto", témoigne cette employée de cantine de 54 ans, "ça fait plus résidence privée que HLM", "quand je me lève le matin, j'ai une belle vue, c'est beau, c'est propre". Autour d'un thé avec d'anciens voisins, elle concède seulement un brin de nostalgie pour la "vraie vie de famille" partagée avec eux, 20 ans durant.

- Casse-tête -

Un peu partout en France, l'argent de la rénovation urbaine a transformé les banlieues, mais nulle part ailleurs la situation n'était si dégradée ni les travaux si ambitieux.

Des immeubles de logements bas en construction le 12 mai 2014 au "Chêne Pointu" à Clichy-sous-Bois, dans le cadre d'un programme de rénovation urbaine [Alain Jocard / AFP]
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Des immeubles de logements bas en construction le 12 mai 2014 au "Chêne Pointu" à Clichy-sous-Bois, dans le cadre d'un programme de rénovation urbaine

"C'était vraiment le bout du bout, il y avait un mètre d'immondices au pied des tours", se remémore Serge Dubreuil, directeur du renouvellement urbain au bailleur social Opievoy.

670 millions d'euros ont permis de détruire 1.400 logements, d'en rénover 2.762 autres et d'en faire sortir de terre 1.209 neufs. Et de résoudre le casse-tête des immenses copropriétés dégradées et en faillite, dont il a fallu racheter les appartements un à un, pour les détruire ou les transformer en logements sociaux.

Lorsqu'il s'attaque aux Bosquets, oeuvre de l'architecte Bernard Zehrfuss tombée en deshérence, Vincent Cornu veut voir dans les 17 km qui séparent ce quartier de Paris une chance plutôt qu'un handicap. L'architecte veut offrir "des choses que des Parisiens ne peuvent pas forcément avoir", de petits immeubles avec des appartements "tous traversants, dont on multiplie les orientations, avec des terrasses, des balcons".

Pour le maire socialiste de Clichy Olivier Klein, le projet allait au-delà des logements: "on a créé de la ville, des équipements publics, des rues et des squares" dans des zones en proie au sentiment d'abandon.

Mais malgré l'ouverture d'un commissariat, premier signe du retour de l'Etat, puis d'une agence Pôle emploi en février, la rénovation urbaine n'a pu gommer toutes les difficultés.

- Faible mixité sociale -

Le relogement visait "à apurer les difficultés financières" de personnes appauvries par des charges communes démesurées, rappelle la sociologue Sylvaine Le Garrec, qui travaille pour l'association des responsables de copropriété, mais certains "se retrouvent à nouveau avec des problèmes". Leur appartement "a été racheté au moindre coût" par la puissance publique -- 20.000 à 30.000 euros pour des 60 m2. Pas assez pour apurer leurs dettes.

Pour d'autres, la famille s'est agrandie, et la rénovation s'est traduite par un appartement plus vaste et plus cher. Certains encore ont été surpris par les compteurs d'eau individuels, qui peuvent faire flamber la facture.

Un bâtiment d'habitation en construction à Clichy-sous-Bois, le 12 mai 2014, dans le cadre d'un programme de rénovation urbaine, avec des immeubles bas, plus coquets que les cités précédentes  [Alain Jocard / AFP]
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Un bâtiment d'habitation en construction à Clichy-sous-Bois, le 12 mai 2014, dans le cadre d'un programme de rénovation urbaine, avec des immeubles bas, plus coquets que les cités précédentes

Quant à la mixité sociale, elle tarde. "Pour les constructions nouvelles, on visait 60% de logements locatifs sociaux, notamment pour reloger les habitants du quartier" et 40% d'autres logements. Ce dernier objectif "n’est pas encore atteint et il mettra encore quelques années à être réalisé", constate Thierry Asselin, directeur opérationnel à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru).

"Certains ont gardé leurs mauvaises habitudes, jettent leur déchets par la fenêtre", déplore Idriss Djocu, gardien d'immeuble, même s'il juge qu'il y a moins d'incivilités et surtout "une autre ambiance que dans les cités".

Pour éviter de "retomber", les bailleurs sociaux font assaut de pédagogie, et une part de l'enveloppe de la rénovation - trop faible selon plusieurs acteurs - va à l'accompagnement social. Une partie de ces fonds expire fin 2014.

"On s'est occupé de l'urbain, pas de l'humain", dénonce l'adjoint au maire de Clichy Medhi Bigaderne, de l'association ACLEFEU née avec les émeutes. "On a replacé les mêmes populations avec les mêmes difficultés dans ces logements".

Pour le chercheur Renaud Epstein, Clichy-Montfermeil est même un bon exemple de "l'échec de la rénovation urbaine du point de vue de la mixité sociale": "des petites maisons coquettes et de petits immeubles à la place des tours moches", cela ne suffit pas à "faire venir d'autres populations".

La donne changera avec le désenclavement promis de longue date, préfèrent penser la plupart des acteurs. Un tramway, souvent repoussé, est attendu pour 2018, et une gare du futur métro du Grand Paris se profile à l'horizon 2023.

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