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La France du repli et du rejet, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani.[REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

Des milliers de manifestants en France pour protester contre la quasi-interdiction de l’avortement projetée par le gouvernement espagnol ; et le lendemain, des manifestants plus nombreux encore dans les rues de Paris pour dénoncer « le mariage pour tous », la simplification de la loi sur l’IVG (Interruption volontaire de grossesse) ou encore des menaces qui pèseraient sur la famille… La France et l’Espagne sont à fronts renversés. Le point commun étant sans doute l’influence de l’Eglise catholique : influence qu’elle exerce à Madrid sur un gouvernement qui lui est proche et à Paris sur les organisateurs des manifestations. Mais tandis que l’Espagne a traversé la crise, dont elle commence à sortir, sans troubles majeurs, tout se passe comme si, en France, les forces étaient à l’œuvre pour que ces troubles adviennent.

Le signe d’alerte s’est produit il y a une semaine lorsqu’ont défilé côte à côte à Paris toute une série de groupes extrémistes rassemblés par des slogans ouvertement antisémites. Comme s’il avait fallu une preuve, à ceux qui ne voulaient pas le croire, de la dangerosité, ici de «l’humoriste polémiste» Dieudonné ou bien là du retour en force d’auteurs qui sont des propagandistes de la haine. Il y a en France de multiples facteurs qui peuvent expliquer la dangerosité de tels mouvements. Le contexte est celui d’un pays tourné contre lui-même et dont l’idéologie dominante est désormais le catastrophisme et le défaitisme. Une France du rejet de l’autre – aussi bien l’immigré que l’Européen, l’Arabe ou le Juif – est en train de s’affirmer. C’est la France du repli identitaire et du refus de l’euro. Cette France-là a toujours existé. Elle a toujours été minoritaire (sauf pendant le régime de Vichy). Mais elle trouve aujourd’hui, au prétexte de la crise, davantage de canaux d’expression.

De son côté, l’opposition dite républicaine, celle qui a régné pendant dix ans et n’a quitté le pouvoir que depuis deux ans, n’hésite pas à souffler sur toutes les braises. Elle campe, depuis l’élection de François Hollande, sur un rejet radical allant jusqu’à expliquer, par la voix de l’un de ses députés, que ce président a été élu «par défaut». Pour une partie de la droite, la gauche est toujours illégitime et ne saurait donc la déposséder du pouvoir.

Il est vrai que cette radicalité a été alimentée parle pouvoir lui-même. Au-delà des maladresses, de l’amateurisme d’une partie du gouvernement, le mécontentement français trouve sa source dans la colère provoquée par le «choc fiscal» subi par le pays. Au nom de deux mots d’ordre : d’abord, aligner la fiscalité du capital sur celle du travail. C’est chose faite, mais cela a découragé les entrepreneurs. Ensuite, faire payer les riches : mais tout le monde, notamment le cœur des classes moyennes, a été touché.

Et lorsque le président change de cap, annonce que l’effort portera désormais sur la baisse de la dépense publique et souhaite, avec les entreprises, un compromis historique, la droite républicaine, au lieu d’en prendre acte, donne la main à ceux qui cherchent à déplacer le terrain de la lutte. Le dernier exemple en date est particulièrement probant : à partir de rumeurs soupçonnant les écoles de vouloir enseigner une «théorie du genre», une mobilisation s’est organisée, ce qui a permis, à celles et ceux qui veulent continuer de manifester, d’engranger de nouveaux partisans.

Le seul remède serait que les républicains de tout bord prennent conscience du danger et s’accordent, fut-ce implicitement, sur l’essentiel. 

 

Jean-Marie Colombani

 

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