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La laborieuse création de Pôle emploi

Une agence Pôle emploi [Fred Dufour / AFP/Archives] Une agence Pôle emploi [Fred Dufour / AFP/Archives]

"Aujourd'hui, un chômeur a un interlocuteur qui indemnise, conseille et place", se félicitait Nicolas Sarkozy fin 2009, un an après avoir imposé la fusion ANPE-Assedic. Lancée en pleine crise, la création de Pôle emploi est loin d'être achevée et d'avoir tenu ses promesses.

Cette gigantesque réorganisation relevait du "bon sens" pour l'ex-président et allait simplifier et personnaliser les démarches des chômeurs, avec guichet et interlocuteur uniques.

Le rapprochement entre l'Agence nationale pour l'emploi (chargée des offres d'emploi, 30.000 agents en CDI) et les Assedic (chargées des allocations chômage, 14.000 salariés) devait permettre aux conseillers de suivre au maximum 60 demandeurs d'emploi. Des économies d'échelle étaient espérées.

Mais c'était oublier que les "Jobcentre Plus" britanniques, qui l'inspirèrent, distribuaient une allocation forfaitaire alors que l'assurance chômage française est un calcul de droits compliqué.

Rien, ou presque, ne se déroulera comme prévu.

De 2009, Marie Lacoste, de l'association MNCP (chômeurs et précaires), conserve le souvenir "d'une pagaille noire" et de "retards graves d'indemnisation".

Un formulaire d'inscription à pôle emploi [Fred Tanneau / AFP/Archives]
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Un formulaire d'inscription à pôle emploi
 

Entre "pressions" de l'exécutif et hostilités syndicales, cette fusion entre deux "maisons" aux "cultures, statuts et métiers profondément différents", a été "compliquée", a raconté dans un livre Christian Charpy, premier patron de Pôle emploi (2008-2011).

Elle a été d'autant plus difficile qu'à la tourmente de la fusion s'est ajoutée la crise.

Rien qu'en 2009, Pôle emploi inscrira 600.000 chômeurs supplémentaires. "La crise a rebattu toutes les cartes", estime un ancien dirigeant. La fusion avait été pensée "dans un contexte d'euphorie où l'on projetait de descendre à 1,5 million de chômeurs", rappelle-t-il.

La désorganisation qui suivit, notamment matérielle (bureaux, informatique), a été dénoncée par tous les syndicats. Des grèves massives ont eu lieu en 2009 et 2010.

Pour le député PS Jean-Patrick Gille, la fusion "n'a pas tenu toutes ses promesses" et "dans un premier temps, le service aux demandeurs d'emploi s'est même dégradé". Dans un rapport fin 2012, l'élu pointait d'autres échecs collatéraux: la baisse des offres d'emploi collectées et l'intégration manquée des 900 psychologues de l'Afpa transférés en 2009.

File d'attente dans une agence de pôle emploi le 10 septembre 2012 à  Pontault-Combault [Jacques Demarthon / AFP/Archives]
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File d'attente dans une agence de pôle emploi le 10 septembre 2012 à Pontault-Combault
 

Malgré tout, "la fusion a été menée" et "il n'y a pas eu de retards dans l'indemnisation", revendique M. Charpy. Depuis 2010, 94% des paiements sont faits dans les délais, selon Pôle emploi.

L'explosion du chômage suffit-elle à expliquer ces ratés? "Pas uniquement", la fusion a été "mal conduite", selon "un modèle trop centralisé" et une "conception fausse du métier unique", estime le professeur Michel Abhervé, spécialiste des politiques de l'emploi.

La direction proposera trois jours de formation aux ex-ANPE. Une injure pour les ex-Assedic.

Pôle emploi fera discrètement marche arrière et encourage maintenant "un socle commun de compétences" pour l'accueil des nouveaux inscrits.

Reste encore a "donner du sens" à la fusion

Mais même cette polyvalence partielle reste difficile. 40% des ex-Assedic ne font pas l'entretien d'inscription. Et aujourd'hui encore, Kader Nemer, ex-ANPE, se sent "frustré de ne pas savoir répondre à toutes les questions d'indemnisation, qui sont les principales posées". Dans un spectacle qu'il présentera en juillet à Avignon, il raille l'impossible "idéal du super conseiller". Beaucoup d'agences prévoient un double accueil.

Du point de vue immobilier, la fusion du millier d'agences ANPE avec les 650 Assedic est loin d'être terminée et coûtera plus de 500 millions d'euros. Si l'objectif de 900 sites mixtes est réalisé à 45% (en cours à 75%), 92% des demandeurs d'emploi sont à moins de 20 km d'une agence, avance la direction.

Pour harmoniser statuts et salaires (+20% en moyenne pour les ex-ANPE, sauf 5.700 ayant refusé de renoncer au statut d'agent public), la facture s'est alourdie de 300 à 380 millions.

Le "changement a été si monumental" et violent qu'"on ne reviendra pas en arrière", admet Philippe Sabater, du syndicat SNU. Conscient qu'il ne s'agissait que d'une "première étape", il s'inquiète maintenant de la réorganisation du suivi des chômeurs engagée début 2013.

Avec le "suivi différencié", Pôle emploi vit depuis quelques mois une seconde révolution. Le but: "faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin". Pour eux, la charge des conseillers sera limitée à 70 demandeurs d'emploi, les autres pourront accompagner jusqu'à 350 personnes.

Pour M. Gille, cette réforme, qui donne plus d'autonomie aux conseillers, permettra peut-être d'en finir avec des "modalités d'organisation inefficaces". "Une vraie armée mexicaine", se souvient l'ancien médiateur de Pôle emploi Benoît Génuini, alors que le taux de cadres n'a pas chuté (13%).

Jean Basseres, directeur général de Pôle emploi, le 27 décembre 2011 à Reims [Francois Nascimbeni / AFP/Archives]
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Jean Basseres, directeur général de Pôle emploi, le 27 décembre 2011 à Reims
 

La réorganisation en cours "est une réponse sous-dimensionnée" à la crise, estime M. Sabater (SNU). Malgré le renfort de 4.000 CDI depuis 2012, après la suppression de 1.800 CDD en 2011, "nous n'avons toujours pas assez de conseillers", juge-t-il.

Il pointe la souffrance silencieuse des agents. Entre 2010 et 2011 les absences pour maladie ont augmenté de 27%. En 2012, 63% des salariés jugeaient que la situation allait "plutôt en se dégradant", selon un sondage commandé par la direction.

Une expertise en région Bretagne sonnait récemment l'alarme sur "des conditions de travail pathogènes". Elle relevait aussi "des identités professionnelles fragilisées" et "une +culture commune+ à ce jour difficile à trouver".

"Moi, ex-ANPE, j'ai eu l'impression d'avoir été privatisée, les ex-Assedic étatisés, tout le monde a un peu raison", relève Emilie Cantrin (CGT). Il reste à "donner du sens" à la fusion, admettait il y a quelques mois l'actuel patron de Pôle emploi Jean Bassères.

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