En direct
A suivre

Les pratiques managériales de la chaîne américaine Hollister mises en cause

Yoann Fiston, 25 ans, un ancien employé de la chaîne américaine Hollister, pose le 18 avril 2013 à Lyon [Jeff Pachoud / AFP] Yoann Fiston, 25 ans, un ancien employé de la chaîne américaine Hollister, pose le 18 avril 2013 à Lyon [Jeff Pachoud / AFP]

"Hey, what's up? Bonjour!", lance une jolie vendeuse au client qui pénètre chez Hollister. Derrière le décor "so cool", les employés de la marque américaine de vêtements sportswear débarquée en France fin 2011 dénoncent des pratiques managériales abusives.

Cadre de travail dangereux pour la santé, atteintes aux libertés personnelles et à la vie privée, dépassements du temps de travail autorisé, discriminations: la liste des récriminations des employés d'Hollister (groupe Abercrombie & Fitch) est longue. Des enquêtes en cours de l'inspection du travail dans plusieurs magasins pourraient conduire à des poursuites aux prud'hommes et au pénal d'Hollister en France.

Dès l'embauche, l'enseigne californienne marque son obsession pour le "look". La majorité des vendeurs, appelés "modèles", sont repérés dans la rue puis convoqués à un entretien collectif. "On nous pose trois questions mais surtout, on nous prend en photo sous toutes les coutures", décrit Maxime, 20 ans, recruté à l'ouverture du magasin Hollister à Lyon en avril 2012, et qui préfère prendre un prénom d'emprunt.

"J'ai vu faire la directrice du magasin: elle regarde les photos sur son ordinateur et dit "oui, non" sans jeter un oeil au CV", ajoute-t-il. Résultat selon lui: tous les vendeurs de la boutique du centre commercial Confluence sont très jeunes, les filles ont toutes les cheveux longs, les dents très blanches, et sont minces; les garçons "la mâchoire carrée et le corps bien baraqué".

La direction d'Abercrombie & Fitch a refusé de répondre aux questions de l'AFP. Le groupe a déjà été condamné à plusieurs reprises pour discrimination à l'embauche aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. En 2004, le groupe avait notamment accepté de payer 50 millions de dollars à un collectif d'employés et personnes issues de minorités ethniques qui affirmaient avoir été dissuadées par l'entreprise de poser leur candidature.

"Alors qu'aux Etats-Unis, la discrimination à l'embauche a été soulevée par des groupes qui estimaient être écartés de l'emploi par la politique de management, il est intéressant de constater que les plaintes en France portent plutôt sur les conditions de travail difficiles et les entraves au respect du droit du travail français", décrypte la sociologue Aude Lejeune, chargée de recherche au CNRS/CERAPS.

Les vendeurs "publicités ambulantes"

Une fois embauché, l'employé continue en effet de faire l'objet d'un contrôle permanent de son look, au point de devenir une "publicité ambulante", selon les employés qui se sont rebellés. "J'ai vu une vendeuse se faire réprimander parce qu'elle avait mis trop de mascara", raconte Morgane, 19 ans, grande blonde filiforme qui souhaite rester anonyme.

Le règlement intérieur du magasin, dont l'AFP a obtenu une copie, stipule notamment que "l'eye-liner est interdit", ainsi que le rouge à lèvres. Le document définit aussi une longueur standard des ongles des mains, des teintes autorisées pour le vernis des ongles de pieds, ou encore une longueur maximale des "pattes" sur les tempes pour les hommes.

"Il y a même des photos dans la salle du personnel avec les coiffures que nous sommes autorisés à porter", précise Morgane. Pour Loïc Lerouge, juriste spécialiste des risques psycho-sociaux, "l'ensemble de ces restrictions pourrait constituer une atteinte assez forte à la liberté de se vêtir". Il rappelle que le code du travail prévoit un "principe de proportionnalité" entre les limitations aux libertés individuelles imposées par l'employeur au salarié et le but recherché.

Yoann Fiston, 25 ans, un ancien employé de la chaîne américaine Hollister, pose le 18 avril 2013 à Lyon [Jeff Pachoud / AFP]
Photo
ci-dessus
Yoann Fiston, 25 ans, un ancien employé de la chaîne américaine Hollister, pose le 18 avril 2013 à Lyon

En 1994, Disneyland Paris, qui imposait à ses salariés des règles très strictes venues d'outre-Atlantique en termes de "look", avait été condamné pour atteintes aux libertés individuelles et discrimination à l'embauche.

La "pression" que décrivent tous les salariés interrogés passe aussi par d'autres mesures en apparence anodines, comme la musique très forte diffusée en permanence dans le magasin. Dès 5 heures du matin, assure Maxime, une playlist "électro, très rythmée", est poussée au maximum "pour la productivité".

Interdiction de "fraterniser"

L'étudiant dénonce aussi une autre sorte de pression: l'interdiction de "fraterniser", détaillée dans le formulaire remis à tout nouvel employé, qui doit "éviter d'avoir des interactions sociales ou romantiques en dehors du lieu de travail".

A Lyon, les jeunes employés d'Hollister ont commencé à protester contre leurs conditions de travail en décembre 2012, sur un point bien précis: leur tenue de travail. A peine leur contrat signé, les employés sont en effet priés de s'acheter des vêtements dans le magasin, parmi deux ou trois modèles imposés.

Yoann Fiston, 25 ans, embauché pour un CDD d'été, s'en rappelle: "Je trouvais ça étrange, on n'avait pas encore gagné d'argent qu'on nous demandait déjà d'en dépenser, mais j'étais persuadé qu'on serait remboursés".

L'étudiant s'indigne quand, deux semaines plus tard, on lui demande d'acheter un nouvel ensemble à 150 euros, une charge lourde sur le budget d'un employé en contrat de 10 heures hebdomadaires. "Beaucoup n'ont rien osé dire parce qu'ils considèrent que c'est un honneur de travailler chez Hollister", remarque-t-il.

Yoann constate rapidement que, bien que rien ne soit précisé dans le contrat de travail, des salariés se sont vus renvoyer chez eux pour avoir osé se présenter sans la fameuse tenue. D'autant plus incompréhensible que son équipe, qui prépare le magasin de 5h à 10h, n'a pas de contact avec la clientèle.

Il lance alors une pétition pour exiger le remboursement de la tenue. "La directrice était hors d'elle quand je lui ai remis, elle ne voulait même pas discuter", se souvient-il.

La directrice du magasin lyonnais, une jeune Américaine non-francophone, a refusé de répondre aux questions de l'AFP, tout comme la direction américaine d'Abercrombie & Fitch, la maison-mère d'Hollister.

Pour Yoann Fiston, "chez Hollister, le droit français, ils s'en foutent". Lui qui avait un contrat de 10 heures par semaine, travaillait souvent "jusqu'à 50 heures" hebdomadaires en réalité. Des heures qui ne figuraient pas sur la feuille de paye.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités