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La semaine de Philippe Labro : l’honneur d’un homme, l’horreur d’une rumeur

Philippe Labro, écrivain, cinéaste et journaliste. [THOMAS VOLAIRE]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

 

DU 11 AU 15 AVRIL

La disparition de Dominique Baudis (annoncée le 10 avril) aura donné lieu à un hommage national dans la cour des Invalides, à Paris (le 15), suivi d’une cérémonie d’obsèques, à Toulouse (le 16).

J’ai eu la chance de souvent le côtoyer, d’abord comme journaliste, car Baudis fut un grand reporter courageux, puis un présentateur de journal télévisé qui suscitait l’estime grâce à une sorte de pondération rassurante, séduisante. Je le vis aussi pendant ses mandats de maire à Toulouse, dix-huit ans de réussites.

Je me souviens bien de Dominique, un homme aux yeux clairs, à l’élégante posture, aux gestes de mains gracieux et qui semblaient, par leur mouvement équilibré, traduire la belle organisation de sa pensée. Il avait une voix à la fois douce et ferme, posée, sachant trouver le mot juste.

Il présidait, en 2003 et 2004, les séances de travail pour la naissance de la TNT (Télévision numérique terrestre) qui réunissaient plus de cinquante spécialistes, rue Saint-Dominique, à Paris. Une immense salle, une aussi immense table en U, au bout de laquelle Baudis jouait pleinement son rôle de patron du CSA. Je regardais Baudis, il me donnait parfois l’impression d’être ailleurs, perdu, le visage hanté, comme par les mouches noires qui polluaient son esprit. Car il était le sujet, au même moment, d’une ignoble cabale, cette affaire Alègre, dont Marie-France Etchegoin fit un livre, que je recommande : "Le bûcher de Toulouse" (éd. Grasset).

Si l’on veut comprendre l’horreur dont Baudis fut victime, il faut lire ce document qui détaille et démasque le nombre de mensonges, machinations, incompétences (gendarmes et magistrats), personnages glauques qu’une partie de la presse (écrite et télé) mettait en valeur par goût du scandale et ignorance des règles fondamentales du journalisme (il faut vérifier et contre-vérifier, et ne jamais imprimer la rumeur comme un acquis).

J’ai eu, bien plus tard, l’occasion de longuement converser avec Baudis. On se souvient des perles de sueur sur son front, au 20 heures de TF1, lorsqu’il eut l’intelligente initiative de venir "prendre la calomnie en face".

Il en souriait, de ce sourire discret qui le caractérisait : "Tu comprends, me disait-il, lorsque je suis sous le coup de l’émotion, je n’y peux rien, je transpire. Or, il existe deux sortes de gens. Les 'dîneurs en ville', les rumoristes mondains, une petite frange de la société qui croit voir, dans quelques gouttes de sueur, la marque de ma culpabilité. Et puis les autres, qui, dès le lendemain, me disaient : 'Normal ! Vous étiez sous le choc !' Des gens normaux, par contraste avec ceux que la rumeur attirait. Tu me demandes si, pendant nos séances de travail, j’étais distrait. Non ! Pour une raison simple : je savais que tous les témoignages étaient faux, archifaux ! Plus les accusations étaient grosses, plus cela me calmait. Lorsque vous êtes maître de votre conscience, rien ne vous atteint."

La noblesse de Baudis, c’est qu’il parvint, à la fin de cette terrible épreuve, à relativiser. Il me disait encore : "Il peut m’arriver de passer des mois sans y penser. Je sais que je me ferais du mal si j’entretenais en moi aigreur et amertume."

De toute ma déjà longue vie de journaliste, observateur de la "comédie humaine", j’ai rarement rencontré un homme aussi digne, libre, stoïque, que ce Dominique Baudis, que des salauds voulurent détruire avant que le cancer ne s’en charge. Des salauds que l’on n’a pas beaucoup entendus, pendant quelques jours. Avaient-ils enfin honte ? 

 
 

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