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Philippe Labro : "Une ferveur autour de JFK"

Philippe Labro relate comment, jeune reporter pour France-Soir, il a couvert l'assassinat de Kennedy. [Catherine Hélie/Gallimard]

Il a vécu la tragédie de l’intérieur. Le 22 novembre 1963, Philippe Labro se trouve aux Etats-Unis lorsque John Fitzgerald Kennedy est assassiné. Jeune reporter pour France-Soir, il se rend aussitôt à Dallas où il couvre les heures inoubliables qui ont suivi. Aujourd’hui, à quelques jours du cinquantième anniversaire de la mort du 35e président américain, Philippe Labro, jour­naliste, écrivain et cinéaste, publie «On a tiré sur le président» (Gallimard), où il expose sa vision personnelle de l’un des événements les plus marquants du XXe siècle.

 

Pourquoi avez-vous voulu raconter cet épisode de votre vie ? 

Tout le monde sait que je connais bien cette histoire, et je ne l’avais jamais racontée. Je me suis dit qu’il était grand temps de donner une version intime de l’événement, maintenant que j’ai le recul suffisant pour le faire. Et j’ai aussi voulu raconter qui était Kennedy, décrire l’atmosphère de l’époque, ainsi que les personnages qui sont les héros de ce que l’on peut considérer comme le plus grand roman de l’histoire de l’Amérique.

 

Comment en êtes-vous venu à couvrir cet événement ? 

J’étais sur le campus de Yale (Connecticut), où j’enregistrais des interviews pour l’émission de télévision Cinq colonnes à la une, dont le patron, Pierre Lazareff, était aussi le mien à France-Soir. En plein enregistrement, je vois arriver un jeune homme courant comme un fou, hurlant : «On a tiré sur le président !». Je saute sur un téléphone, j’appelle le journal, où on me dit : «Tu laisses tout tomber et tu prends le premier avion pour Dallas».

 

Vous arrivez alors au commissariat où est détenu Oswald. Pour un jeune journaliste comme vous, c'est une expérience inoubliable ?

J’arrive dans un capharnaüm, un remue-ménage indescriptible, dans un couloir envahi de flics, de journalistes… J'assiste à un spectacle incroyable. Pour un jeune journaliste, c’est une formation sur le terrain, c’est mon premier gros coup. J’avais déjà couvert des événements importants, mais là, c’est un tournant professionnel. Ayant la chance d’être le premier de mon journal sur place, à mon âge (26 ans, NDLR) j’ai fait la une de France-Soir, qui était à l’époque lu par des millions de gens, pendant huit jours. Cela a renforcé ma réputation, ce qui m’a permis ensuite d’évoluer vers les enquêtes et de couvrir toutes les années 60.

 

Comment va survenir votre rencontre avec Jack Ruby, l'assassin de Lee Harvey Oswald ?

Ruby était un petit bonhomme avec un chapeau sur la tête, vulgaire et salace, qui parlait avec les journalistes. Les journalistes locaux et les flics le connaissaient, puisqu’il avait ses entrées dans le commissariat. Sans doute les recevait-il dans sa boîte de nuit, leur offrait-il à boire et même plus. Il vient vers moi et il me dit «vous êtes étranger». Il me donne alors sa carte de visite où sont dessinées une fille nue et des bulles de champagne. Je me dis : "que fait ce tenancier de boîte de nuit ici ?". Je n’ai  pas eu un seul soupçon, comme tout le monde. En enquêtant sur lui par la suite, je me suis rendu compte qu'il était comme les types qui traînent dans l'entourage des stars du rock : il aimait se sentir au cœur de l’événement. Il s’y croyait, il jouait même au journaliste. Et le lendemain, sur ce que je crois être un geste de pulsion non préparé, il tue Oswald. 

 

En quoi l'assassinat de Kennedy constitue-t-il, selon vous, une "rupture historique" ?

Il y a des moments dans l’histoire où survient un événement inattendu, qui remet en question un système, des hommes, des choix, des décisions… L’attentat de Sarajevo en 1914, le mur de Berlin, l’homme sur la Lune, le 11-Septembre... tout le monde se souvient de ce qu'il faisait lorsque ces événements sont survenus. Et ce sont des moments qui remettent en question l’équilibre de l’Histoire. Pour JFK, on peut se demander ce qui se serait passé s’il n’avait pas été flingué. Aurait-il été réelu ? L’Amérique se serait-elle embourbée au Vietnam ? Aurait-on eu les présidents qui ont suivi ? L’Histoire est faite de ruptures.

 

Pourquoi cette affaire fascine-t-elle davantage que le 11-Septembre ou l'homme sur la Lune ? 

L’homme sur la Lune, on l’a vu, on sait que cela a eu lieu. Le 11-Septembre aussi, et on a su très vite qui avait envoyé les avions dans les tours. Pour Kennedy, le mystère demeure. Et cette affaire met en scène un couple magique. Aujourd’hui, Il y a une ferveur autour de JFK, presque une religion. 

 

Qu'est-ce qui fait de Kennedy un personnage si complexe ?

C’est un homme qui, gamin, a failli mourir, à qui on a donné plusieurs fois l’extrême onction. Qui, malgré un dos en capilotade et une santé vacillante, commet un acte d’héroisme extraordinaire pendant la guerre du Pacifique en sauvant ses camarades dans un bateau. Qui démontre des ressources d’énergie, de courage, de volonté hallucinantes, alors que toute sa vie il a souffert. Il a vécu avec un corset, avec des additions au tibia parce qu’il avait une jambe plus courte que l’autre. En apparence, c’était un athlète merveilleux, bronzé, mais ce bronzage était dû aussi à la Cortizone dont on le nourrissait.

Et en même temps, il aimait rire, ses copains, le bateau... C’est un personnage de roman, un objet de fascination pour les dramaturges, les cinéastes, les journalistes… Il est devenu un mythe. 

(JFK, le 12 septembre 1962. © AFP)

 

En quoi a-t-il changé la représentation de la présidence américaine ?

Il a introduit Hollywood à la Maison Blanche. Le glamour, la télégénie, la photogénie, la communication… Il ne se faisait pas photographier par hasard. On a tous l’image du petit John-John sous son bureau, dans son petit costume blanc. Il a transformé la communication présidentielle américaine. C’est cela qui est à l’origine des séries américaines comme West Wing ou House of Cards : tout part du fait qu’on s’est rendu compte que la Maison Blanche était un endroit chargé de suspense, de danger et, en même temps, d’attractivité, de beauté.

 

Pourquoi estimez-vous qu'il est mort alors qu'il commençait à prendre la mesure de sa fonction ?

Président est un métier qui s’apprend. Kennedy a connu un premier échec dès son arrivé à la présidence, avec la Baie des cochons. Cette expérience va lui servir lors de la crise des missiles de Cuba, en 1962. Il a alors sauvé le monde occidental, voire le monde tout court, d’une destruction nucléaire. Sa gestion de la crise a amorcé la détente avec l’URSS. Mais il n’a pas fait que cela : c’est lui qui signe le décret pour envoyer l’homme sur la Lune, il met en route l’émancipation des droits civiques des Noirs… Mais, et c’est ce qui fascine les Historiens, c’est une présidence inachevée. De très bons écrivains américains disent qu’il est mort au moment où il était en train de devenir un grand président. Et sur le plan personnel, il avait trouvé la paix. Jackie a d’ailleurs dit à ce moment là, « Ca y est, je crois que le mariage va fonctionner ».

 

Pourquoi dites-vous que Kennedy n'aurait pas pu être président de nos jours ?

La presse actuelle se serait ruée sur sa maladie et ses frasques sexuelles. Et avec les réseaux sociaux, Internet, la moindre information circule instantanément. De plus, le puritanisme actuel de l’opinion américaine fait qu’on a plus le droit de se comporter comme il le faisait. A l'époque, la presse maintenait une omerta sur ses aventures. Aujourd’hui je ne suis même pas certain que JFK aurait pu être candidat.

 

Comment expliquez-vous  que les théories de la conspiration continuent à prospérer ? 

Le conspirationnisme est devenu une industrie. Une grande part de l’opinion n’admet pas la vérité officielle, préférant l’hypothèse d’un complot. Ensuite, il y a le fait que l’assassinat de Kennedy est tellement inadmissible qu’on ne veut pas se résoudre au fait qu’il s’agit d’un fait divers pathétique, mettant en scène deux personnages sinistres, Oswald et Ruby. Et l’hypothèse selon laquelle Kennedy a été tué par les forces du Mal contribue à sa légende.

 

Accordez-vous du crédit à ces théories ?  

J’ai moi-même émis des hypothèses, pour arriver à la conclusion, cinquante ans plus tard, que Ruby, comme Oswald, a agi seul. Je sais que cela va me valoir des critiques, mais j’en suis convaincu. Il faut s’en tenir aux faits, et dans une Amérique qui prône la culture de la transparence, il semble difficile de concevoir que rien ne soit sorti depuis un demi-siècle. Peut-être qu’un jour, une archive secrète va tout nous dire. Je l’attends, mais elle n’existe peut-être pas.

 
 

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