Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour DirectMatin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
JEUDI 12 SEPTEMBRE
Elle est belle, blonde, élégante, elle porte les bijoux qu’il faut, elle s’habille Chanel, Prada, Fendi, ses sacs sont signés Hermès, c’est la quintessence de la riche américaine de New York qui passe sa vie en dîners mondains et voyages – en jet privé – à Vienne ou Portofino, quand elle ne se repose pas, tout simplement, dans la résidence d’East Hampton que lui a offert – avec tout le reste – son richissime mari.
L’ennui, c’est que tout cet univers, ces habitudes, ces mœurs, vont s’évaporer du jour au lendemain et que Jasmine va se retrouver perdue, ruinée, veuve d’un escroc (car le mari était un escroc), avalant antidépresseurs sur antidépresseurs, obligée de s’exiler chez sa sœur à San Francisco.
Telle est la trame du 44e film de Woody Allen, Blue Jasmine, que je viens de voir en avant-première, un de ses meilleurs films. Il sort le 25 septembre.
Cate Blanchett interprète Jasmine. Elle est étonnante. Elle sait transmettre l’angoisse, la fuite d’un statut social, la difficulté de rebondir, conserver sa dignité, malgré une schizophrénie crédible et pathétique. Elle sait mentir, repousser les avances d’un dentiste imbécile, embarrasser son entourage par ses tirades incohérentes, tellement la voilà en rupture d’existence.
Un grand rôle, une interprétation à la Meryl Streep ou à la Gena Rowlands (Une femme sous influence, de John Cassavetes). J’ai été épaté par Cate Blanchett, et par le regard à la fois compassionnel et cruel que Woody porte sur ses concitoyens américains – car les autres protagonistes sont à la hauteur de son ambition : faire une comédie humaine sur notre époque, l’argent, l’absence de repères, le manque d’amour et la recherche de cet amour.
A 77 ans, Woody Allen rebondit – après un ou deux films récents moins réussis que Blue Jasmine. C’est la bonne surprise de la rentrée cinématographique.
JEUDI 12 SEPTEMBRE
Ce même jour, j’assiste au vernissage d’une exposition de photos intitulée Pour ceux qui aiment le jazz – en hommage à l’inoubliable émission radio de Frank Ténot et Daniel Filipacchi. Il y a des portraits de Chet Baker, Dizzy Gillespie, Charlie Parker – certains signés de Jean-Marie Périer, d’autres de grands photographes américains (Stern, Gottlieb, Willoughby, etc.) et, enfin, de Daniel Filipacchi lui-même, commissaire de l’exposition, qui propose cinq tirages inédits.
Il est là, celui que toute une génération a appelé «Oncle Dan», l’inventeur, entre autres, de Salut les copains, et il dégage toujours la même impression de dynamisme, de décontraction et d’intelligence de la vie. L’expo est située à la Galerie Photo 12, 14, rue des Jardins-Saint-Paul, à Paris – jusqu’au 16 novembre.
MERCREDI 18 SEPTEMBRE
J’admire la réussite de l’opération de redressement du Costa Concordia, qui s’était échoué dans la rade de la petite île de Giglio, en Italie. Il a fallu 19 heures pour qu’un système lourd, sophistiqué, compliqué, remette «à flot» ce paquebot de croisière qu’un capitaine lâche et imbécile, le funeste Francesco Schettino, avait abandonné il y a vingt mois de cela – catastrophe maritime qui fit 32 victimes.
Les 1 500 habitants de l’île étaient pour la plupart couchés quand, à 4 heures du matin, on vit enfin le gros navire de 300 m de long retrouver sa position normale. Le «salvage master», le maître du sauvetage, est un Sud-Africain inconnu, Nick Sloane. Il dit modestement : «Le résultat a dépassé mes attentes.» On n’a pas assez parlé de ce bel exploit – et de cette leçon, en contrastes : d’un côté, l’incompétent capitaine, de l’autre, ce Nick Sloane. Deux figures d’homme. Le nul et le bon.
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