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Jean Dujardin, l’artiste

Jean Dujardin[CC/Nivrae]

Jean Dujardin incarne la réussite à l’américaine et esquisse un parcours sans faute. En l’espace de dix ans, il est devenu l’un des comédiens préférés des Français.

 

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On l’a découvert en 1997 dans une émission de télévision qui tentait de débusquer les nouveaux talents de la scène française. Il s’est fait connaître du grand public sous le sobriquet de Loulou, en «gars» ordinaire, un brin macho mais irrésistiblement attachant. Il a obtenu la consécration du grand public sous les traits d’un ado attardé, échoué sur la plage de Nice en attendant un improbable «swell». Il a conquis les critiques en incarnant un OSS 117 aussi implacable que maladroit, et aussi flegmatique qu’à côté de ses mocassins à glands. Il a reçu un oscar pour son interprétation d’une star déchue du cinéma muet. En l’espace d’une décennie, Jean Dujardin a su gravir une à une les marches de la réussite et figure aujourd’hui au rang des valeurs sûres du cinéma français.

 

Le déclic

Formé au métier de serrurier-miroitier, il découvre son potentiel comique en passant par la case service militaire, qui lui fournira d’ailleurs la matière de ses premiers sketchs. «Monté» à Paris, c’est sur les planches que Jean Dujardin fait ses débuts. Il s’amuse encore de cette époque où le public pouvait se compter sur les doigts des deux mains. Au théâtre du Carré-Blanc, il rencontre ses futurs acolytes, Bruno Salomone, Eric Collado, Eric Massot et Emmanuel Joucla, avec lesquels il forme les «Nous C nous». La troupe écrira plusieurs spectacles avant de passer des planches aux plateaux de télévision. Ensemble, ils participent à Fiesta, l’émission animée par Patrick Sébastien entre 1997 et 1999. Des «Nous C nous», Jean Dujardin gardera de la notoriété, et un certain personnage nommé Brice.

 

Vidéo : Jean Dujardin dans Graine de stars

 

 

Consécration télévisuelle

La carrière de Jean Dujardin bascule en 1999. Sur l’antenne de France 2, le 11 octobre de cette année, il incarne pour la première fois à l’écran Loulou, «le gars» dans Un gars, une fille. Pendant presque quatre ans, Chouchou (Alexandra Lamy) et Loulou tournent en dérision les couples modernes. La série prend fin en juin 2003, mais le succès est tel qu’Un gars, une fille est encore diffusée aujourd’hui. Le format court (6 minutes) a également fait école, avec entre autres Caméra Café et Kaamelott. Avec sa belle gueule et sa gaucherie souvent touchante, il devient un modèle pour le public masculin et un début de fantasme pour la gent féminine. La série est un tremplin et il rencontre Alexandra Lamy, devenue sa femme dans la vie.

 

Vidéo : Jean Dujardin dans Un gars une fille

 

Un gars une fille - Au lit par Videosungarsunefille

 

De Nice à Rio                                                             

Star du petit écran, il décide de s’attaquer au grand. Malgré sa notoriété et son succès à la télévision, il a dû passer par de petits rôles pour s’imposer au cinéma. Il apparaît pour la première fois en 2002 dans A l’abri des regards indiscrets, un film composé d’une succession de sketches sur le passage à l’euro. La carrière cinématographique de Jean Dujardin ne démarre pas sous les meilleurs auspices. Après un autre personnage secondaire dans Ah ! Si j’étais riche la même année, il joue dans deux comédies laborieuses : Toutes les filles sont folles, de Pascale Pouzadoux, et Bienvenue chez les Rozes, de Francis Palluau. Mais ses qualités d’acteur sont vite démontrées et sa carrière au cinéma est lancée, et le succès va suivre. 2 millions de spectateurs se pressent pour assister aux Mariages !, en 2003, où il donne la réplique à Mathilde Seigner.

Devenu indissociable de son personnage dans Un gars une fille, le comédien – sans jamais renier cette fabuleuse expérience – souhaite se déployer sur d’autres terrains. Pour cela, il fait renaître Brice de Nice (2005), un surfeur déjanté qu’il avait créé dix ans plus tôt au sein des «Nous C nous», en s’inspirant d’un Brice un peu frimeur qui fréquentait la même classe de terminale que lui. Le film est un véritable raz-de-marée qui attire plus de quatre millions de spectateurs dans les salles. A la fois succès commercial et phénomène de société, les expressions et gestes du héros (le fameux «cass’ de Brice») sont repris par de nombreux jeunes. Brice de Nice Jean Dujardin lui permet de s’imposer sur grand écran.

 

Vidéo : Jean Dujardin dans Brice de Nice (James Huth, 2005)

 

 

Jean Dujardin commence à voler de ses propres ailes, sans partenaire majeur pour lui donner la réplique. L’ère du cinéma commence pour «Loulou». Dujardin enchaîne ensuite les succès. A l’aise dans les comédies – comme dans les deux volets d’OSS 117 –, il manifeste des qualités d’interprétation exceptionnelles et s’est essayé à la comédie sentimentale (L’amour aux trousses et Il ne faut jurer de rien ! en 2005), au polar où l’acteur apparaît sous un jour nouveau, et prouve que son talent ne se limite pas à la comédie (Le convoyeur en 2004, Contre-enquête en 2007), ou encore à la satire sociale avec l’adaptation à l’écran du best-seller de Frédéric Beigbeder, 99 F (2007).

 

Vidéo : Jean Dujardin dans 99 francs (Jan Kounen, 2007)

 

 

Sa prestation de l’agent très spécial OSS 117, parodie de James Bond version française est plébiscité par le public (près de deux millions et demi de spectateurs pour chacun des deux films), et la prestation de Jean Dujardin remarquée : ce rôle lui vaut une nomination pour le césar 2007 du meilleur acteur.

 

Vidéo : Jean Dujardin dans Oss 117 : Rio ne répond plus (Michel Hazanavicius, 2009)

 

 

En France, où il est si facile d’être coincé dans un registre, Jean Dujardin a su passer et faire passer du rire à l’émotion, preuve, s’il en était encore besoin, de son ambition de comédien authentique. Pour incarner le capitaine Malinowski dans Contre-enquête, il a soigné la préparation du rôle. Afin de cerner au mieux son personnage, il a suivi pendant quelques jours le quotidien des enquêteurs de la police criminelle, des interpellations au tir à l’arme à feu, en passant par la protection rapprochée.

 

Vidéo : Bande-annonce de Contre-enquête (Franck Mancuso, 2007)

 

 

Bankable mais anxieux

Jean Dujardin, telle une météorite, est entré dans le cinéma français comme avant lui Gabin (starifié en cinq ans), Delon (starifié en trois ans) ou Belmondo (starifié en quatre ans). Cet anxieux proclamé sait trop que le parcours est semé d’embûches et que le moindre faux pas peut coûter cher, lui qui a dû emprunter les portes dérobées avant de se faire une place sous les projecteurs. «Dans le futur, je vais devoir éviter les coups de hache qui vont passer à côté de moi, et il va y en avoir, c’est certain. Ce pourrait être des films qui ne marchent pas, de mauvaises critiques, des types sur Internet qui souhaitent ma mort, des problèmes personnels. Ça va très vite. Vous le voyez bien avec Marion Cotillard !», déclarait- il en 2008 dans une interview accordée au Figaro Madame. Ne voyez pas là un discours convenu ou un effort de feinte modestie. Car le Jean côté coulisses, dont le vrai patronyme n’est pas Dujardin mais Devell, n’est pas très éloigné de son homonyme de la série Un gars, une fille. Un type comme tout le monde, simple et ancré dans la réalité, qui profite de ce que les circonstances lui ont offert mais n’oublie pas les difficultés rencontrées.

 

Vidéo : Jean Dujardin dans Les Petits mouchoirs (Guillaume Canet, 2010)

 

 

Si le talent explique cette capacité à relever tous les défis, l’acharnement au travail est une autre partie de l’explication. « C’est quelqu’un qui cherche toujours à s’améliorer », comment James Huth. Tour à tour sympathique, inquiétant, beau parleur, gendre idéal, enjôleur, ténébreux ou romantique à l’écran, Jean Dujardin est aussi connu pour être un homme droit, sincère et ayant su garder les pieds sur terre malgré le succès qui lui colle à la peau. James Huth est intarissable sur ce sujet : «Il a su rester le même. Il est très gentil, solaire, bon vivant et bagarreur. Ce dernier trait vient d’ailleurs de son enfance au sein d’une fratrie. Il a aussi un univers qu’il protège, sa femme, sa famille, son noyau dur. Il sait faire la part des choses.» Cette capacité à garder les pieds sur terre, il la doit à la famille. Celle dont il est issu : des parents à la tête d’une métallerie en région parisienne, et trois frères qui lui «dégonfleraient la tête très vite» s’il lui venait un jour de «manquer d’humilité». Celle qu’il a fondée : il a eu, avec sa première femme, deux enfants qui eux aussi l’aident à sentir les réelles priorités («Ils me donnent leurs angoisses et m’enlèvent les miennes»).

C’est peut-être dans la proximité avec son public que réside la clé de la popularité de Jean Dujardin. Un physique qui tient plus du trentenaire fringant et charmeur que de la gravure de mode, un humour franchouillard tout sauf prétentieux, de l’esprit mais un passé de cancre revendiqué et assumé, une trajectoire discrète et patiente : le parfait modèle auquel s’identifier pour le Français moyen. De plus, cet admirateur de Jean-Paul Belmondo, qui dit avoir été élevé au film du dimanche soir, perpétue une certaine idée du cinéma populaire à la française, comme en témoigne sa filmographie.

 

Vidéo : Jean Dujardin dans Oss 117 : le Caire nid d’espions (Michel Hazanavicius, 2006)

 

 

Lucky Luke

En 2009, Jean Dujardin entame un nouveau cycle dans sa carrière de comédien et endosse un nouveau statut. Pas question, dès lors, de resservir éternellement les mêmes recettes réchauffées. Et il en a conscience. En août 2005, alors que la Bricemania déferlait sur l’Hexagone, on lui demandait dans une interview à Var Matin s’il envisageait un second épisode des aventures de son surfeur peroxydé. «Une suite ?... Je n’y pense même pas. La meilleure idée, pour l’instant, c’est de le laisser à Nice dans sa quête de vague !»

Avec James Huth, le réalisateur de Brice de Nice, il s’approprie en 2009 le costume d’une légende franco-belge, Lucky Luke. Parfois, il faut savoir trahir un livre pour transformer le plus justement une émotion littéraire en émotion cinématographique.  James Huth, pour Lucky Luke, semble adhérer à ce dernier principe: « La société a évolué. Un héros qui est invincible, qui tire plus vite que son ombre, que l’on ne peut pas abattre, qui n’a aucune fragilité, on va l’aimer trois minutes ! Aujourd’hui, on a envie de savoir quel- les sont ses faiblesses, qu’il s’ouvre à nous, qu’on sache pourquoi on va l’aimer. Avoir une icône en face de soi, ce n’est plus assez de nos jours», explique-t-il.

 

Vidéo : Jean Dujardin dans Lucky Luke (James Huth, 2009)

 

 

C’est ainsi que le réalisateur de Brice de Nice et complice une nouvelle fois de Jean Dujardin sur ce projet, éclaire son choix de scénario qui revient sur les origines du cow-boy solitaire : «Quand on donne vie à un personnage de bande dessinée, on se retrouve avec un mec en chair et en os face à soi. On a alors envie de lui poser plein de questions, surtout si c’est un cowboy français. Qui es-tu? D’où vient ton surnom ? Qui sont tes parents ? Pourquoi tu cours après le soleil couchant ? Quelle est ton histoire ? Pourquoi tu te refuses à abattre tes ennemis ? Toutes ces interrogations ne figuraient pas dans un seul album. Et si on en avait pris un en particulier et qu’on avait essayé d’y pousser aux forceps les réponses à ces questions, on l’aurait tordu. On ne l’aurait donc pas respecté

Seulement, l’exercice d’adaptation comporte forcément une part de risque. Et notamment celle de décevoir les fans qui pourraient crier à la trahison. Huth répond justement à cela que «faire ce choix nous a ouvert une autre porte. Celle de pouvoir utiliser les structures des grands westerns qui m’ont vu grandir, comme les films de Howard Hawks ou de John Ford, dans lesquels il y avait à chaque fois les thèmes de la vengeance, du secret de famille, de la haine, de l’amour... Ces émotions définitives comme des blocs de granit.»

 

Vidéo : Jean Dujardin dans Les Petits mouchoirs (Guillaume Canet, 2010)

                                                                                        

 

Des talents multiples

Auteur de ses sketchs, Jean Dujardin cumule aussi les casquettes de scénariste et dialoguiste dans Brice de Nice et Lucky Luke. En 2008, il ajoute une nouvelle corde à son arc en réalisant et en produisant Palizzi, un programme court, diffusé sur les chaînes 13ème Rue et France 4, sur un ancien caïd qui tente de retrouver ses marques après quinze années passées en prison. En 2006, il joue au Théâtre Edouard VII, avec Alexandra Lamy, dans Deux sur la balançoire, une pièce romantique de William Gibson.

 

Vidéo : Jean Dujardin dans The Artist (Michel Hazanavicius, 2011)

 

 

En 2011, à l’heure de la 3D relief et des effets spéciaux spectaculaires, Michel Hazanavicius, très engagé pour "défendre un système qui défende tous les cinémas", a choisi de réaliser un film en noir et blanc, muet de surcroît. Un défi risqué admirablement relevé avec The Artist. Pendant une heure quarante, tout le charme et la drôlerie du cinéma des années 1920-1930 prennent possession de l’écran. «Ce que j’aime, c’est créer un spectacle et que les gens y prennent du plaisir en ayant conscience justement que c’est un spectacle. C’est la stylisation qui m’intéresse, la possibilité de jouer avec des codes», reconnaît le réalisateur.

Pour The Artist, le réalisateur des deux volets d’OSS 117 retrouve Jean Dujardin, son acteur fétiche. Il incarne ici George Valentin, une vedette du cinéma muet dans le Hollywood des années 1920. Hâbleur, ce grand séducteur devant l’Eternel se retrouve soudainement dépassé par l’avènement du cinéma parlant et va sombrer dans l’oubli. Récompensé par le prix d’interprétation masculine à Cannes en mai 2011, puis par un oscar en février 2012, Jean Dujardin porte le film sur ses épaules avec un talent inouï. «Sans la parole, au fond il reste l’essentiel : le jeu et l’émotion pure», note le comédien. Et il parvient, sans un mot, à exprimer une palette de sentiments tout à fait impressionnante.

Depuis son oscar, Jean Dujardin a tourné deux films, parmi les plus attendus de l’année 2013 : Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese et The Monuments Men de George Clooney. Il n’en oublie pas moins la France où il a joué dans Moebius d’Éric Rochant et dans Neuf mois ferme d’Albert Dupontel, tous les deux sortis également en 2013.

 

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