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Emmanuelle Béart, parcours d’une star

Emmanuelle Béart et Michel Piccoli lors de la présentation de La Belle Noiseuse de Jacques Rivette au festival de Cannes 1991.[CC/Georges Biard]

Depuis cette baignade dénudée dans une source de la garrigue provençale, Emmanuelle Béart impose sa beauté et son image d’actrice sauvage au cinéma. Mais Manon des Sources a fait beaucoup de chemin depuis le film de Claude Berri. Elle élargit sa palette de couleurs à chaque nouvelle rencontre avec un cinéaste.

 

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« Actrice ? J’ai commencé par hasard, j’ai continué par amour ». C’est ainsi qu’Emmanuelle Béart définit ses débuts. C’est par amour du jeu, des rôles et des rencontres avec les réalisateurs que l’actrice s’est bâtie une impressionnante filmographie.

Fille du chanteur Guy Béart et d’un mannequin, Geneviève Galéa, Emmanuelle Béart est née le 14 août 1965 à Gassin (Var). Elle grandit à Cogolin et sera élevée par sa mère. Cette enfant du Sud a trois frères et une sœur : Olivier, Mikis, Yvan et Sarah. Selon Mikis Cerieix, « c’est un vrai clan et Emmanuelle est à la tête de la tribu. Elle est attentive, prévenante ». Mais pour son autre frère, Olivier Guespin, « il faut veiller sur elle autant qu’elle veille sur nous. C’est une personne exposée donc nous essayons parfois de faire rempart d’amour autour d’elle ». Olivier est photographe, il l’a suivie à chaque mission de l’Unicef et a rassemblé tous ces photos dans un livre paru en janvier 2004, Sous nos yeux (éditions Gallimard).

 

Rencontre avec Daniel Auteuil

Sa carrière commence à l’âge de sept ans, dans La course du lièvre à travers les champs de René Clément, en 1971. Edouard Molinaro lui offre son premier grand rôle en 1984, dans L’amour en douce. Elle y incarne Samantha Page, une call-girl qui fait tourner la tête de Marc Delmas, alias Daniel Auteuil. Si leur rencontre est intense dans le film, elle l’est plus encore dans la vie puisque les deux comédiens se marient pendant le tournage. Leur histoire durera dix ans et verra naître la petite Nelly en 1992.

Un an plus tard, en 1986, le jeune couple partage l’affiche de Manon des sources de Claude Berri, d’après le roman de Marcel Pagnol. Après Jean de Florette, où il joue aux côtés de deux monstres sacrés du cinéma, Yves Montand et Gérard Depardieu, Daniel Auteuil se glisse de nouveau dans la peau d’Ugolin. Emmanuelle Béart, elle, interprète la jolie bergère qui va lui faire perdre la tête. C’est là que l’actrice remporte son premier trophée : le césar de la meilleure actrice dans un second rôle. Auteuil reçoit quant à lui le césar du meilleur acteur.

 

Vidéo : Bande-annonce de Manon des sources

 

 

C’est la révélation, le tournant médiatique et la jeune actrice se retrouve propulsée sous les projecteurs. « Quand tu commences à être connue, tu provoques tout et son contraire. Il y a des gens qui t’aiment et des gens qui ne t’aiment pas. Et il y a toute cette phase où tu ne comprends pas pourquoi on ne te comprend pas et où tu cherches désespérément à aller vers les gens qui te repoussent. Et finalement, tout doucement, tu comprends que c’est normal. Tu continues ton chemin et tu fais des choix », se souvient Emmanuelle Béart.

 

Un détour par le théâtre

Des choix, elle en a fait. Notamment pour fuir cette pression médiatique soudaine. Elle choisit de délaisser les plateaux de cinéma pour les planches. Elle subit son baptême du feu avec La répétition ou l’amour puni de Jean Anouilh (en 1986), suivie de La double inconstance de Marivaux (en 1988), Le misanthrope de Molière (en 1989), On ne badine pas avec l’amour de Musset (en 1993), et plus tard Jouer avec le feu de Strinberg (en 1996). En tout, ce sont sept années de sa vie qui ont été consacrées au théâtre : « Je sais que j’y ai trouvé mes plus grands bonheurs mais cette dernière expérience était assez douloureuse ». Pourtant, cela ne l’empêcha pas de retrouver en octobre 2007 la scène du théâtre de la Madeleine, à Paris, dans une pièce de Carole Fréchette, Jean et Béatrice avec Charles Berling.

 

Vidéo : Emmanuelle Béart dans Les Justes de Camus, mise en scène Stanislas Nordey

 

 

Après une longue absence, Emmanuelle Béart remonte sur les planches en 2010 avec une pièce d’Albert Camus, Les Justes. Dirigée par Stanislas Nordey, elle incarne, dans cette pièce inspirée d’évènements historiques (l’assassinat à Moscou en 1905 du grand-duc Serge par un groupuscule terroriste), Dora Doulebov, une jeune socialiste confrontée aux enjeux de la révolution et à la perte d’un être cher. Quand Albert Camus écrit Les justes en 1949 – alors que la guerre froide s’intensifie –, il réfléchit à la question du crime politique, à la légitimité de la violence et aux limites de l’action terroriste. Stepan Federov est un jusqu’au-boutiste en désaccord avec son compagnon d’armes, Ivan Kaliayev, pour qui combattre des idées ne justifie pas tous les crimes, comme, par exemple, l’assassinat d’enfant. Amoureuse des beaux textes et passionnée des grands enjeux du monde contemporain, Emmanuelle Béart ne pouvait que se montrer sensible à cette pièce. « Ce qui me touche profondément dans Les Justes, c’est qu’il est question de fraternité, et que cette fraternité est ce que je recherche au théâtre », déclarait-elle au Figaro.

 

Rivette, Téchiné et Sautet : ses trois mentors

Emmanuelle Béart a tourné avec les plus grands réalisateurs. Ses trois tuteurs sont Jacques Rivette, André Téchiné et Claude Sautet. Trois grands cinéastes, trois styles différents qui ont modelé la carrière de la comédienne. Selon Fabien Gaffez, professeur de cinéma à l’université de Picardie Jules-Verne et auteur d’Emmanuelle Béart (éditions Nouveau Monde) : « Sautet a avoué filmer le fantôme de Romy Schneider. Je pense que c’est la grande héritière de Romy Schneider. Elle n’est pas dans la tradition de théâtreuse, de jeu cérébral. Elle est dans un jeu beaucoup plus instinctif, beaucoup plus sensuel. Elle apporte de la chair au personnage. Mais en parallèle, Sautet lui a donné un peu plus de profondeur, de gravité à son jeu. Il a été son Pygmalion ». Elle tournera sous sa direction à deux reprises, dans Un Cœur en hiver (1992), avec Daniel Auteuil et André Dussolier, et Nelly et Monsieur Arnaud (1995), avec Michel Serrault.

 

Vidéo : Emmanuelle Béart dans Un Cœur en hiver

 

 

Autre mentor, l’un des grands cinéastes du romanesque : André Téchiné. Il l’a dirigée dans J’embrasse pas (1991), Les égarés (2002) et dans Les témoins (2007). Douze ans après J’embrasse pas (1991), Emmanuelle Béart joue pour la seconde fois sous la direction d’André Téchiné. Dans Les égarés, adapté du roman Le garçon aux yeux gris, de Gilles Perrault, elle est Odile, une jeune veuve, mère de deux enfants qui fuit Paris en juin 1940. Sur sa route, elle croise Yvan (Gaspard Ulliel), un ado débrouillard dont elle s’éprend. Téchiné refera appel à la comédienne en 2007 pour son drame, Les témoins.

 

Vidéo : Bande-annonce de J’embrasse pas

 

 

Avec Jacques Rivette, il s’agit d’une rencontre improbable entre une grande actrice populaire et l’un des membres de la Nouvelle Vague. Ils feront deux films ensemble : La Belle Noiseuse (1990) et L’Histoire de Marie et Julien (2002).

 

Vidéo : Emmanuelle Béart dans La Belle Noiseuse

 

 

Ce qui ne l’empêche pas de flirter avec la machine hollywoodienne. Par la grande porte, puisqu’elle est la partenaire de Tom Cruise dans Mission impossible en 1996. A en croire Fabien Gaffez, « elle avait les moyens pour réussir outre-Atlantique. Mais je pense que le système hollywoodien ne lui conviendrait pas du tout. Elle fonctionne aux rencontres ».

 

Voyage au bout de la chair et de la nuit

Et celle avec Manuel Pradal, qui la dirige dans Un Crime (2006), est une nouvelle étape. « Emmanuelle peut tout jouer, c’est une actrice fusionnelle, passionnelle et subtile. Ce sont les qualités d’une grande actrice, elle peut tout jouer », déclare Manuel Pradal. Le réalisateur français l’a choisie pour incarner Alice, une New-yorkaise amoureuse de Vincent, son voisin de palier. Lui ne vit que pour retrouver le meurtrier de sa femme, elle s’obstine à fabriquer un coupable pour lui permettre d’assouvir sa vengeance. Un chauffeur de taxi innocent en fait les frais, mais le coupable idéal n’existe pas... le crime parfait non plus.

Manuel Pradal a voulu « une Manon des sources qui devienne Manon des villes face à un Bad lieutenant cabossé et fragile ». Il se souvient d’une rencontre passionnée sur le plateau de tournage entre une peau «douce» et une peau «dure», dans les quartiers populaires de New York, loin du regard des touristes : « Emmanuelle et Harvey se sont aimés, bagarrés, ils ont rigolé ensemble. Le crime s’est fait à mains nues, le film aussi. Pas de costumes d’apparat. L’un et l’autre ont affronté ce film en étant proches de leur vraie nature ». Pour la grande scène d’amour, les deux acteurs ont laissé de côté leur pudeur. Emmanuelle Béart commente : « Je ne regrette pas cette scène torride. Je la trouve même très forte ». Le réalisateur lui-même souligne la performance : « Ils ont fait l’amour devant les milliers de New-yorkais qui allaient et rentraient du boulot. Dans les deux secondes de face à face, les regards étaient vertigineux. Le bruit du métro, les hurlements, les crissements ressemblaient à leur voyage au bout de la chair et de la nuit ».

 

Vidéo : Bande-annonce d’Un Crime

 

 

Une fois encore, Emmanuelle Béart se livre à corps perdu dans ce polar nocturne. Martin Scorsese a déjà prouvé que le décor naturel de Brooklyn et du Queens permettait aux acteurs d’exprimer toute leur vérité et leur violence. Une vérité que la belle Emmanuelle nous laisse entrevoir un peu plus dans ce thriller : « Les gens, et tant mieux, ne voient jamais un acteur pleurer tout seul chez lui comme un con. Mais les instants de doute existent. C’est une forme de politesse que de ne pas s’écrouler devant le public, de ne pas montrer ses faiblesses ».

 

Une femme engagée                                                                                                                    

1996 est l’année de tous ses engagements. En particulier aux côtés des sans-papiers de l’église Saint-Bernard. On se souvient de la comédienne, sans maquillage ni coiffure, vêtue d’un pull-over ample et noir, conduite par le bras par un officier de police vers le commissariat le plus proche, au matin du vendredi 23 août. Une image et un combat qui lui ont coûté son contrat publicitaire avec Dior. La maison de haute couture a jugé que la jeune femme ne correspondait plus « à l’image chic de la marque ». Pour Mikis, l’un de ses frères, c’est un réflexe familial : « On a l’engagement dans le sang. On tient ça de notre mère qui a toujours été engagée ».

Toujours en 1996, elle devient ambassadrice pour l’Unicef. La comédienne voit la souffrance des enfants au cours de ces dix années au service de l’Unicef. De dispensaires en centres de nutrition, du Vietnam au Mali en passant par le Kenya, Emmanuelle part à la rencontre des populations locales, de leurs problèmes quotidiens et de leurs histoires. L’ambassadrice de l’ONG est un témoin dont la mission consiste à essayer de comprendre, d’observer, afin de pouvoir à chacun de ses retours participer à des conférences de presse, pour relayer les actions de l’Unicef mais aussi pour attirer les regards sur ces enfants oubliés, ces urgences silencieuses.

Depuis l’année dernière, elle a décidé de passer le relais : « On n’est pas ambassadrice de l’Unicef à vie, car ce n’est pas sain. Je pense qu’il fallait que je laisse ma place à quelqu’un d’autre, une personne qui apporterait un regard nouveau », explique-t-elle. Elle reste cependant active dans le comité de parrainage, une structure regroupant une cinquantaine de personnalités qui soutiennent l’Unicef. Son combat continue. Et sa carrière aussi.

 

Vidéo : Emmanuelle Béart dans L’Enfer

                                                                 

 

Grand écart

 

On la connaissait troublante dans Manon des sources (Claude Berri, 1986), affolée dans L’enfer (Claude Chabrol, 1994) par son mari joué par François Cluzet, évanescente dans La bûche (Danièle Thompson, 1999), vulnérable et forte dans Les égarés (André Téchiné, 2002), on la découvre désopilante en 2008  grâce à Fabien Onteniente, l’auteur de Camping. Dans Disco, elle campe le rôle de France Navarre, un professeur de danse classique, légèrement psychorigide et baroudeuse à ses heures. Entourée de Franck Dubosc, Isabelle Nanty, François-Xavier Demaison et Gérard Depardieu, elle explore le monde de la comédie. « Je n’y suis jamais rentrée à ce point » confie-t- elle. « Tenir un regard très longtemps est un effet comique, je ne le savais pas. Je découvre des choses très intéressantes grâce à Onteniente. Il est en train d’ouvrir de nouveaux horizons, de nouvelles choses, qu’après 22 ans de carrière je ne connaissais pas. Cela m’apportera une force encore plus grande, même pour la suite ».

 

Vidéo : Emmanuelle Béart dans Disco                                                      

 

 

Emmanuelle Béart a déjà laissé entrevoir sa capacité comique. On l’a senti dans A gauche en sortant de l’ascenseur (Edouard Molianoro, 1988) ou lorsqu’elle s’auto-parodie dans A boire et Voyance et manigance (Eric Fourniols, 2000). Selon ses proches, « c’est une vraie drôle. Elle a une joie de vivre qu’elle transmet à tout le monde ». Dans le film d’Onteniente, elle réussit à associer son talent à l’ambiance et à la culture disco. « Je suis de la génération disco, mais je l’ai vécue entre la France et le Canada. Quand je suis partie à Montréal, le disco était déjà passé et il n’était pas arrivé en France. C’est une mode musicale qui m’a échappé complètement. Je suis passée de la chanson française, qui faisait partie de mon éducation, au hard rock » se souvient la comédienne.

 

Vidéo : Bande-annonce de Vinyan

 

 

Un grand écart musical qui correspond précisément à la personnalité d’Emmanuelle Béart. Elle va là où l’on ne l’attend pas. Après ce tournage, qui s’est déroulé au Havre, elle s’est envolée pour la Thaïlande, afin de rejoindre l’équipe de Fabrice Du Welz. Ce réalisateur belge tourne Vinyan, un thriller fondé sur l’histoire d’un couple cherchant à faire le deuil de son enfant disparu lors du tsunami. Pour ce metteur en scène, comme pour Fabien Onteniente, il s’agit d’une première collaboration avec Emmanuelle Béart. « Avant de la rencontrer, je cherchais une actrice anglaise, car mon film est coproduit avec l’Angleterre. Comme j’avais beaucoup de mal à trouver, mon producteur m’a soufflé le nom de Béart. A vrai dire dans un premier temps je n’y croyais pas. Mon producteur a insisté, j’ai revu quelques-uns de ses films et je l’ai finalement rencontrée. Dès que je l’ai vue, j’ai été ébloui et j’ai su que j’avais enfin mon actrice. J’ai compris aussi pourquoi Emmanuelle est une immense star... » explique-t-il.

 

Vidéo : Bande-annonce de Bye Bye Blondie

 

 

Lorsqu’on demande à Emmanuelle Béart ce qu’elle pense de son parcours, elle répond simplement : « J’ai la sensation que rien n’est acquis. Je ne sais de quoi sera faite ma vie demain. Cet état de fragilité, cette envie toujours intacte de découvrir l’autre (les metteurs en scène), cette envie de refaire ma valise à chaque fois m’ont rendue paradoxalement plus solide. Finalement, la seule et unique empreinte que je voudrais laisser, c’est à mes enfants, pour qu’un jour eux aussi, à leur tour, puissent tenir debout ».

 

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