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Enki Bilal : « Il faut que l’artiste soit visionnaire »

Enki Bilal[Capture d'écran Youtube]

Né à Belgrade en 1951, Enki Bilal arrive en France à l’âge de dix ans. Après un cycle d’albums politiques en collaboration avec Pierre Christin, s’ensuivit La trilogie Nikopol, puis La Tétralogie du monstre. Considéré comme l’un des plus grands dessinateurs du monde de la BD, il aime sortir des canevas traditionnels, comme en témoigne sa récente exposition « Les Fantômes du Louvre ». Direct Matin l’avait rencontré à l'occasion de la sortie du dernier tome de La Tétralogie du Monstre, Quatre ?

 

Archives – Article publié le vendredi 23 mars 2007

 

Comment est née cette trilogie ?

Enki Bilal : Ce sont les événements liés à l’éclatement de l’ex-Yougoslavie qui m’ont incité à écrire cette trilogie. Je ne voulais pas un album ponctuel sur cette guerre. C’est pour cela que j’ai choisi un regard du futur. Un personnage d’une trentaine d’années qui tout à coup se souvient. Cette mémoire est le fil conducteur du cycle. Il a commencé dans la douleur, dans la violence, d’une profonde déception humaniste. Puis, j’ai eu envie de sauver mes personnages et de leur donner cette force d’échapper à leur destin.

 

Vous sentez-vous dépossédé de vos personnages après ce point final ?

E. B. : A la fin de La trilogie Nikopol, j’étais très mélancolique car les personnages de Nikopol et Jill se séparent sur une forme d’échec, ils se sont ratés. Là, c’est différent car Nike, Leyla et Amir ne se sont pas perdus mais retrouvés. L’ouverture me permet d’être serein et puis cela me donne la possibilité dans cinq ou six ans de refaire un tour avec eux.

 

Vidéo : Enki Bilal dans son atelier

 

 

Comment définir votre travail ?

E. B. : L’acte de création procure une certaine plénitude. Le rôle de l’artiste est de devancer les événements. J’ai toujours considéré que l’engagement artistique était important, notamment en laissant filtrer mes sentiments. Ma démarche n’est pas celle de quelqu’un qui gère sa carrière, qui flatte un air du temps ou une mode. Elle dépasse le cadre national, peut-être parce que je suis né ailleurs et que je voyage beaucoup. L’idée d’enracinement m’apparaît dangereuse. Finalement, j’ai l’impression de parler des choses qui me font peur, je prends position sur la montée du religieux au niveau planétaire ou encore la peur de l’obscurantisme. J’ai la chance de pouvoir jouer avec mes obsessions. Il faut que l’artiste soit visionnaire.

 

Vous faites dire au personnage de Warhole : «La matière des créateurs est souvent accidentelle». Est ce le cas de votre propre parcours ?

E. B. : Oui, et je le revendique. Chaque œuvre a sa part d’accident, ne serait-ce qu’au moment où elle est faite. Une œuvre abordée par un jour de pluie ou de grand soleil, et votre perception est modifiée. Il y a donc une part d’accident. Quel artiste ne s’est pas dit un jour : «Comment en suis-je arrivé là ?» Il y a quelque chose qui s’est produit.

 

Vidéo : Portrait d’Enki Bilal à l'occasion du 40e anniversaire du festival d'Angoulême

 

 

Y a-t-il une complémentarité entre la BD et le cinéma ?

E. B. : La complémentarité existe car j’ai conçu ces univers par le graphisme. Je joue avec la même matière en essayant de l’adapter avec des outils et des moyens d’expression différents. Le cinéma m’a fait évoluer dans mon rapport à la bande dessinée et curieusement, réaliser des films m’éloigne de la BD traditionnelle. Je n’éprouve plus le besoin de surdécouper mes dessins. En créant des films, mes albums s’approchent plus du roman. Cela joue sur mon choix des images et leur rapport au texte. J’ai l’impression de porter la même casquette mais ce sont les outils qui changent. Dans le cinéma et le dessin, je cherche quelque chose. C’est peut-être cela la quête de l’infini et par là même de l’art.

 

En 1987, vous obtenez le grand prix du Festival d’Angoulême. Une consécration ?

E. B. : Je ne cours pas après les «trucs», et en même temps, ce fut une libération. Peut-être que cela m’a donné plus de liberté dans mon travail. Souvent membre du jury d’Angoulême, je me rends compte que c’est d’une extrême cruauté.

 

Vous vous tournez à présent vers l’art contemporain, est-ce une suite logique à votre travail de dessinateur ?

E. B. : Oui. J’ai décidé de vendre certains de mes tableaux, ce qui me fait entrer sur le marché de l’art contemporain. Mais j’ai toujours considéré que la bande dessinée en faisait partie. Et puis vendre, ce n’est pas se déposséder. Je ne vis pas avec ces images au mur, elles sont imprégnées en moi.

 

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