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Gibson, la star des guitares

La musique reste la rencontre entre un artiste et un instrument : Jimmy Page sublimant Stairway to Heaven en live grâce à sa Gibson EDS-1275, monstre à double manche, Alvin Lee du groupe Ten Years After maltraitant son ES-335 un soir d’août 1969 sur la scène de Woodstock ... [CC/John W. Tuggle]

B.B. King, Angus Young, Jimmy Page, Alvin Lee... et tant d’autres guitaristes légendaires associés à tout jamais à la marque Gibson. Pour imposer sans complexe le slogan «Les meilleures guitares du monde» et recevoir l’adoubement de musiciens hors pair, Gibson a su innover et inventer.

 

1902, Kalamazoo dans le Michigan, Orville H. Gibson fonde la Gibson Mandolin-Guitar Manufacturing Co. Limited. Fils d’immigrés anglais, Orville Gibson est une sorte de marginal passionné. Seule la confection d’instruments l’amuse. Son talent d’acousticien associé à une curiosité sans bornes vont révolutionner le petit monde des fabricants d’instruments de musique.

Orville est un solitaire ; il aurait passé plusieurs séjours à l’hôpital psychiatrique de St. Lawrence. Il délaisse vite les ateliers de l’usine pour la table de travail de son garage. C’est là qu’il expérimente et laisse libre cours à son imagination, dessine des mandolines et des guitares avec la table (le dessus de la caisse) incurvée - empruntant aux formes des violons Stradivarius - lui valant sa seule et unique invention brevetée. La facture de ses instruments sera le point de départ et la marque de fabrique des guitares Gibson. Il décède en 1918.

 

L’essor de la guitare

L’entre-deux guerres est marqué par l’apparition des «big band», ces groupes de cuivres venus tout droit de la Nouvelle-Orléans, accompagnés généralement par un banjo. La tessiture du quatre ou cinq cordes permet aux banjoïstes de se distinguer nettement de l’orchestre sans amplification. Mais la roue tourne. C’est l’ère bénie des bluesmen, hurlant leur désespoir sur des guitares mal accordées aux quatre coins du pays. La vague prend forme, la guitare gagne ses titres de noblesse.

Présageant de ce qui allait bientôt être une lame de fond, l’entreprise Gibson recrute les meilleurs ingénieurs et acousticiens. Calquée sur les premiers modèles d’Orville Gibson, réappropriés judicieusement par Loyd Loar, sort de la manufacture de Kalamazoo au début des années vingt, la L5, guitare bombée creuse, percée sur les côtés de deux ouïes en forme de «f» des violons. Les ingénieurs tentent d’y greffer un micro, mais la guitare produit des larsens épouvantables.  

Il faut attendre 1935 et les expérimentations de Walter Fuller, pour voir apparaître la première guitare électrique digne de ce nom. Le micro est installé sur l’ouïe d’une guitare à table incurvée. Le 20 mai 1936, la première ES-150 (ES pour Electric Spanish) sort de l’usine.

Gibson stoppe sa production pendant la Seconde Guerre mondiale. Lorsqu’il fait repartir les machines en 1945, Ted McCarty, l’audacieux président de Gibson, découvre une société américaine profondément bouleversée. L’air est au plaisir, à l’insouciance. Alors que l’Europe compte ses millions de morts, l’Amérique rompt avec ses années d’angoisse.

 

L’arrivée de Les Paul

Gibson, en situation de quasi-monopole, domine le marché et vend à tour de bras. Il y a bien un certain Leo Fender, qui s’escrime dans son atelier à confectionner des guitares électriques à corps plein, mais sans trop de succès. Jusqu’au jour où il annonce l’arrivée de la Broadcaster, une «Guitar solid body», guitare à caisse pleine. C’est une révolution. La caisse creuse produisait des larsens insupportables, difficilement maîtrisés par les techniciens de Gibson, la caisse pleine offre des possibilités nouvelles, notamment un sustain (longueur de la note) époustouflant.

C’est un nouveau défi pour Gibson, qui doit innover. Un nom revient aux oreilles du président. Il s’agit d’un certain Lester William Polfus, inventeur entre autres des consoles multi- pistes, et plus connu sous le nom de Les Paul.

 

Vidéo : « How High the moon » de Les Paul et Mary Ford (1951)

 

 

La légende est en marche

Lester Polfus confectionne dès 1941, c’est-à-dire avant Leo Fender, des guitares à caisse pleine. Il traîne le dimanche dans les ateliers d’Epiphone, situés dans le Queens, à New York, et laisse libre cours à sa créativité. Il scie en deux une Epiphone acoustique, y insère deux micros à simple bobinage, et visse un manche Gibson. Lester baptise sa créature «The Log», la bûche, pour son apparence rudimentaire. Même si pour Gibson le prototype n’est qu’un «manche à balai avec des cordes et des micros», Lester rejoint l’équipe de Kalamazoo et s’attelle avec ardeur à sa nouvelle tâche.

La légende dit que pour cacher ses secrets de fabrication, Lester laque d’or son meilleur prototype.

Beaucoup plus abordable, la première Gibson Les Paul sort de l’usine en 1952. Dorénavant, les ingénieurs de la firme doivent «sentir» le marché. La Les Paul Standard est déclinée en différents modèles, pour cerner au mieux la demande : Les Paul Custom (1954), Les Paul Special (1955). La même année, Gibson recrute Seth Lover, transfuge de Fender, qui développera les micros à double bobinage «humbucker». Des micros qui débarrassent des interférences, et qui confèrent aux guitares la rondeur et la légère coloration qui caractérisent le son Gibson.

 

Vidéo : « I’m Going Home » de Ten Years After à Woodstock (1969)

 

 

Toujours un temps d’avance

En 1958, naît un extraterrestre, la Flying V, arrogante, ciselée, mais boudée par le public. Il faut attendre les performances de Jimi Hendrix, dont le nom reste aujourd’hui associé aux Stratocaster de Fender, pour voir les carnets de commande se remplir.

De la même manière, la Les Paul se vend mal à ses débuts. Gibson envisage même, un temps, de stopper sa production. Jusqu’au jour où le légendaire Jimmy Page de Led Zeppelin s’empare de la belle et l’intronise à tout jamais dans la cour des grands. Keith Richards, Eric Clapton, Brian Jones, ou encore Bob Marley : l’étendue des capacités de la guitare en fait la coqueluche des stars des années soixante- dix à quatre-vingt.

Les rockers préféreront la SG («Solid Guitar»). Acérée, elle séduit Angus Young d’AC/DC et Tony Iommi de Black Sabbath. Les années quatre-vingt marquent un tournant. Dans les usines Gibson, les employés sont démotivés, le cahier des charges n’est plus respecté. Un amateur éclairé, Henry Juszkiewicz, rachète Gibson pour une bouchée de pain en 1986.

 

Vidéo : « Stairway to heaven » de Led Zeppelin lors du concert au Madison Square Garden en 1976

 

 

La méthode Juszkiewicz

Le nouveau PDG convie les luthiers à son discours inaugural. Devant ses quelque 70 employés, il rassemble les instruments qu’il juge imparfaits, met en marche la scie à ruban, et passe chacune des guitares à l’échafaud.

Aujourd’hui, Gibson compte 5 000 salariés dans le monde et une croissance annuelle de 20 %. La marque renoue aussi avec le culot. Gibson, en exclusivité mondiale, présente la première guitare digitale, la HD.6X-Pro, qui permet au musicien de régler et d’amplifier chacune des cordes.

Mais que les puristes se rassurent. La musique reste la rencontre entre un artiste et un instrument. Jimmy Page sublimant Stairway to Heaven en live grâce à sa Gibson EDS-1275, monstre à double manche, Alvin Lee du groupe Ten Years After maltraitant son ES-335 un soir d’août 1969 sur la scène de Woodstock ou encore B.B King embrassant, à la fin de ses concerts, les yeux pleins de malice, sa guitare Lucille, tendrement.

 

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