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Le Renaudot pour la Rwandaise Mukasonga

Scholastique Mukasonga pose le 7 novembre 2012 après avoir reçu le prix Renaudot pour "Notre-Dame du Nil" [Patrick Kovarik / AFP/Archives] Scholastique Mukasonga pose le 7 novembre 2012 après avoir reçu le prix Renaudot pour "Notre-Dame du Nil" [Patrick Kovarik / AFP/Archives]

Aujourd'hui, c'est une ville dynamique comme beaucoup d'autres au Rwanda. Mais dès avant le génocide de 1994, "à Nyamata, il n’y avait que la promesse de la mort. Il n’y avait pas de vie à Nyamata", résume Scholastique Mukasonga.

Pour l'écrivain rwandaise d’origine tutsi, prix Renaudot 2012 pour "Notre-Dame du Nil", cette localité est surtout celle dans laquelle 37 membres de sa famille ont péri en 1994.

Le prestigieux prix littéraire français, attribué le 7 novembre, "est le premier pas vers la reconnaissance de notre histoire. J’ai été entendue, les victimes ont été entendues", souligne l'auteur dans une interview téléphonique à l’AFP.

Scholastique Mukasonga, née en 1956 dans la province de Gikongoro au sud-ouest du Rwanda, est déportée en 1960, un an après le début des pogroms anti-tutsi, vers la commune de Nyamata, dans la région inhospitalière du Bugesera (sud), tout comme des milliers d’autres Tutsi.

Nyamata, avec ses banques et son marché moderne, n'a plus grand-chose à voir aujourd'hui avec la commune d'antan. A l'époque, la région tout entière était quasiment inhabitée, aride, peuplée d'animaux sauvages et envahie par la mouche tsé-tsé.

"C'était une forêt peu propice à la culture, raconte Emmanuel Ndashimye, veuf de Jeanne, la soeur cadette de l'écrivain, assassinée en 1994 avec quatre de ses enfants, dont le foetus qu'elle portait. "La vie était misérable. Il nous arrivait de passer des journées sans manger", poursuit le rescapé.

Les déplacés tutsi vivent comme des citoyens de seconde zone, en proie à des persécutions quotidiennes et des massacres à chaque période d'instabilité politique.

Echapper aux machettes

Scholastique Mukasonga le 7 novembre 2012 après avoir reçu le prix Renaudot [Patrick Kovarik / AFP]
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Scholastique Mukasonga le 7 novembre 2012 après avoir reçu le prix Renaudot
 

"Tous les jours il fallait trouver des cachettes, échapper aux machettes. Sauver ses enfants était le quotidien de ma mère", se souvient Scholastique Mukasonga, qui a pu fuir le Rwanda pour le Burundi en 1973, avant de s’installer en France en 1992.

Du village de Gitagata, à quelque huit kilomètres de là, dans lequel va s’établir la famille de l’écrivain peu après sa déportation, il ne reste aujourd’hui plus qu’une route en terre de six kilomètres, silencieuse, entourée de friches et de mauvaises herbes.

"Avant, il y avait des maisons tous les 50 mètres", témoigne Emmanuel, en s'approchant d'une parcelle envahie par les herbes hautes, où seul un avocatier atteste de l'emplacement de la maison d'enfance de l'écrivain.

"Lorsque je suis revenue à Gitagata en 2004, je n’ai pas reconnu le village de mon enfance. Il n’y avait plus rien. J’ai paniqué. De Gitagata il ne reste que ma mémoire.(...) Je ne pensais plus qu’à une chose, rentrer et coucher tout sur papier".

"Témoin du dehors"

En 2006, Scholastique Mukasonga publie son premier livre autobiographique, "Inyenzi ou les Cafards". Suivra en 2008 "La femme aux pieds nus", en hommage à sa mère Stephania, puis "L’Iguifou" en 2010.

"Il fallait sauver la mémoire. Mes livres sont des tombeaux de papier", dit-elle. Même si son oeuvre est largement inconnue dans son pays natal. "Il n'y a pas de culture du livre au Rwanda", déplore son beau-frère Emmanuel Ndashimye.

A la différence des précédents, "Notre-Dame du Nil" est une fiction qui a pour cadre un lycée rwandais de jeunes filles de bonnes familles, dans lequel, quotas obligent, 10% des élèves sont Tutsi.

La romancière a elle-même fréquenté une institution religieuse à Kigali, Notre-Dame-de-Cîteaux, entre 1968 et 1971, bravant les difficultés pour les Tutsi, surtout ceux venant du Bugesera, d’accéder à l’enseignement secondaire.

Dans l'établissement domine une idéologie distillée dans l’esprit des jeunes élèves. Un conditionnement, nourri de fantasmes, prémice au déchaînement de violence que va bientôt connaître le pays, lors du génocide qui fait 800.000 morts selon l'ONU, en très grande majorité des Tutsi, en 1994.

"J’ai fait ce travail de passer au roman pour prendre de la distance, sortir de la souffrance.(...) Je suis le témoin du dehors. Je ne suis plus dans la souffrance de la victime."

Désormais, "j’ai la conviction que tout le peuple rwandais, à l’exception des instigateurs (du génocide), a été manipulé, même ceux qui tenaient les machettes", affirme-t-elle.

La romancière pense aujourd'hui que "le peuple rwandais peut atteindre la réconciliation". "Je ne veux pas que mes enfants vivent ce que j'ai vécu", ajoute-t-elle.

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