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Le tatouage à la reconquête des archipels du Pacifique sud

La jambe de Ricky Masoe est travaillée par le maître tatoueur Su'a Paul Sulu'ape lors d'une démonstration de tatouage traditionnel, le 5 septembre 2012 à Wellington, en Nouvelle-Zélande [Marty Melville / AFP/Archives] La jambe de Ricky Masoe est travaillée par le maître tatoueur Su'a Paul Sulu'ape lors d'une démonstration de tatouage traditionnel, le 5 septembre 2012 à Wellington, en Nouvelle-Zélande [Marty Melville / AFP/Archives]

Autrefois interdit par les missionnaires chrétiens, qui y voyaient une coutume barbare et païenne, le tatouage traditionnel renaît peu à peu aux îles Cook, un archipel du Pacifique dont la population veut retrouver ses racines.

Cet art pratiqué sur le corps était courant dans les îles du Pacifique sud, tels que les Cook, le Tonga, Tahiti ou les Samoa, avant l'arrivée des missionnaires occidentaux au 19e siècle. Le terme tatouage vient d'ailleurs du tahitien "tatau", qui signifie marquer ou dessiner.

Réalisés à l'aide d'un ciseau en os ou coquillage, les tatouages étaient un rite de passage pour les hommes de Polynésie, et les gravures datant des premiers contacts entre populations des îles et Européens montrent des guerriers au corps presqu'entièrement recouverts de ces dessins.

"Si vous étiez dans un waka (un bateau) ou un canoë et que vous croisiez une autre embarcation, vous pouviez dire d'où ces gars venaient, en regardant leurs tatouages", explique Luther Berg, qui possède un studio de tatouages dans la capitale des Cook, Avarua.

"Vous pouviez savoir s'ils venaient des Tonga ou d'ailleurs. Et plus précisément l'île exacte où ils habitaient, et même la famille à laquelle ils appartenaient", raconte-t-il à l'AFP.

Mais les missionnaires ont pris au pied de la lettre les textes de la Bible qui interdisent de marquer le corps et ont interdit formellement le tatouage, indique Thérèse Mangos, auteur du livre "Les motifs du passé", sur le tatouage aux îles Cook.

Dans ces îles, quiconque se prêtant au tatouage était puni d'une amende ou de travaux forcés selon un règlement décidé par l'Eglise.

"C'était vu comme quelque chose de honteux et de contraire à la religion chrétienne", déclare l'historienne. "Les archives montrent que les dessins étaient parfois effacés de la peau à l'aide d'un racloir en corail".

Ces îles, à l'exception des Samoa et de la Nouvelle-Zélande, ont ainsi plongé dans une amnésie culturelle pendant des décennies, avec la quasi-disparition des tatouages traditionnels.

Des motifs autrefois vénérés ont été perdus à jamais et la technique traditionnelle d'appliquer l'encre avec un ciseau en os et une sorte de spatule en bois s'est éteinte.

Mais dans les années 90, des habitants des îles Cook ont voulu renouer avec leur héritage culturel, dont les tatouages.

Beaucoup de motifs ont disparu mais d'autres ont été conservés via des gravures ou des dessins sur des textiles, souligne Croc Coulter, un des tatoueurs de l'archipel qui pratique cet art à l'ancienne.

Les tatouages sont un langage en Polynésie et les tatoueurs doivent suivre un long apprentissage avant de pouvoir exercer, dit-il.

La mode des tatouages polynésiens chez les Occidentaux le laisse dubitatif: ces motifs reproduits à partir d'internet, à l'autre bout du monde, sont purement esthétiques pour les Occidentaux qui n'ont aucune idée de leur signification culturelle, selon lui.

"Lorsqu'une personne vous confie sa peau, c'est une relation, inhabituelle, de confiance", déclare-t-il. "Ca doit refléter la tradition de leur lignage, ou de leur île. C'est beaucoup de responsabilités".

Le tatouage comme rite de passage a toujours été pratiqué aux Samoa et chez les Maoris de Nouvelle-Zélande.

Su'a Paul Sulu'ape, qui appartient à une famille de maîtres tatoueurs des Samoa, s'est rendu en septembre à Wellington pour faire une démonstration du tatouage à l'ancienne.

Le tatoueur a gravé sur la peau de son client, Ricky Masoe, les lignes d'un pe'a sogaimiti, un motif qui se déroule de la taille jusqu'aux genoux.

Masoe laissait s'échapper parfois un cri de douleur et serrait la main de sa femme, tandis que Sulu'ape travaillait son corps, aidé de quatre hommes: un pour tendre la peau, un pour essuyer le sang et les deux autres pour immobiliser les membres de Masoe.

Le père de Sulu'ape s'est rendu au Tonga pour réapprendre à ces îliens les techniques oubliées. Aux Samoa, explique-t-il, le tatouage était tellement inscrit dans la culture que même les missionnaires ne sont pas parvenus à l'éradiquer.

Il ne comprend pas la volonté forcenée des religieux à vouloir, par le passé, interdire cette pratique, ancrée dans l'identité culturelle de cette région du monde.

"Pour moi, être capable de transmettre cette connaissance et cet art de génération en génération est un don de Dieu", déclare-t-il.

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